Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/205

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fonnerie plate et insipide, ont résolu d’en berner l’auteur, mais le moine, après avoir sauté deux ou trois fois en l’air, a joué du derrière, par vengeance, une sérénade fort incongrue à ses bourreaux. Ceux-ci, furieux, ont empoigné leurs archets et l’ont rossé d’importance. Écoutez le tapage qu’il fait ! Ne croirait-on pas entendre un cochon qu’on égorge ?

Fasol sourit et eut cette réflexion :

— Il faut toujours que les plus belles fêtes s’achèvent d’une façon grossière.

Il s’était approché de moi.

— Madame, dit-il, aujourd’hui vous m’avez apporté la couronne, mais vous pouvez m’accorder une plus haute récompense.

Je le regardai. Il était beau, mais d’une beauté qui laissait Mon âme indifférente. Seulement, c’était le héros, l’homme illustre, le dieu de Venise. Tout en n’éprouvant qu’une froide admiration, j’étais heureuse que cette foule d’artistes et de gentilshommes me vissent avec lui. Je me levai en souriant. Il me saisit la main et y posa ses lèvres. On criait autour de nous :

— Vive Fasol ! Vive la Nichina !

Soudain, lancée comme un projectile de guerre, portant une robe de soie décolletée très bas qui laissait voir des épaules rouges, des seins larges et pendants, ornée de tous ses bijoux de famille, de tous ceux de ses galanteries, sans parler des perles que la sueur faisait courir le long de ses vastes chairs, Morosina éclata en louanges, en larmes de tendresse et en témoignages d’affection.

— Ah ! mon enfant, disait-elle, comme vous avez été splendide, admirable, divine, tout à l’heure ! Quel triomphe ! Certes, j’ai vu à Rome et à Ferrare des représentations et des acteurs ; j’ai connu toutes les célébrités de l’époque ! Eh bien, permettez-moi de