Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/27

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nes et durs, sa barbe frisottée où séjournait toute la graisse de la terre. Lui-même éprouvait une haine de rustre pour ce qui subsistait en moi du gentilhomme. Comme un paysan qui s’est fait moine par conviction et met au service d’une règle inflexible sa brutalité de conducteur de bestiaux, il ne supportait pas que je fusse oisif un seul instant ; et, quand il me surprenait les mains inactives, il détachait sa cordelière et m’en frappait rudement les épaules. J’étais si anéanti par le chagrin que je n’avais plus le courage de me révolter contre ce moine barbare et je m’abandonnais à ses coups.

Par bonheur, je ne restai pas longtemps sous ses ordres.

Un jour, le père Antonio entra dans la cuisine ; il aperçut mes yeux rouges, et, attribuant mes pleurs à une autre cause :

— Mon cher frère, me dit-il, consolez-vous, Dieu vous pardonnera, soyez-en sûr.

Il s’agit bien du pardon de Dieu, avais-je envie de lui crier, mais j’eus le bon esprit de retenir mes paroles.

Ce qu’il ajouta me causa plus de plaisir :

— J’ai décidé que vous iriez mendier avec le frère Arrivabene. La promenade vous distraira de votre affliction.

Comme il se retirait, survint Arrivabene que je n’avais pas vu depuis le jour de mon entrée au couvent, et qui s’approcha en sautillant comme un coq effarouché.

— Je ne suis plus portier, s’écria-t-il, et grâces en soient rendues au Ciel. Dire que j’ai eu la discipline et huit jours de cachot parce que le supérieur m’a trouvé à boire du Paradiso ! A-t-on vu pareille putain de couvent ? Le vin n’a-t-il pas été fait par Dieu pour être bu, et, s’ils tiennent absolument à imposer une règle, est-ce