Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/28

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que le frère portier ne doit pas en être affranchi ? Je voudrais voir le père Antonio portier, je voudrais le voir, par Bacchus ! Enfin je suis heureux de changer de position ; la place n’était plus tenable. Maintenant me voici frère quêteur et frère vendeur ; et, tout en quêtant et en vendant, j’aperçois de bien jolies choses sur la Place-aux-Herbes, quand j’apporte le lait du couvent. Quel spectacle me donnent toutes ces demoiselles en déshabillé du matin : Bibbin a des yeux et une gorge, bonne sainte Vierge, à damner tous les saints !

— Mon frère, demandai-je à Arrivabene, puisque vous venez de la ville vous devez savoir ce qu’on dit de l’absence de Lorenzo Vendramin et de la mort de Carlona.

Arrivabene sembla fort étonné de mes paroles, et, comme je le pressais de me répondre :

— Je n’ai entendu parler ni de Vendramino, ni de Vendramini, ni de Carletta, fit-il d’un air d’indifférence.

J’étais désolé. J’eusse voulu qu’il me contât quelque chose de ma maîtresse, et même, à présent que j’étais à l’abri des poursuites, qu’il me parlât de mon crime. Il n’y avait pas un mois que j’étais entré dans ce couvent et déjà Venise m’avait oublié. J’étais enterré avant d’être mort.

Arrivabene, qui riait de toutes les rides de sa grosse face, remarquant mon air attristé, essaya de donner à son visage une expression de mélancolie ; il avança la bouche en cul de poule, baissa les yeux en Madone et glissa vers moi un regard de saint Sébastien percé de flèches. Sa physionomie de moine jovial, contraint de jouer la tristesse, devint alors si amusante que, malgré le chagrin qui m’accablait, j’éclatai de rire à son nez.

Aussitôt la figure d’Arrivabene s’illumina.