Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/30

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trousse très haut sur les reins, montre des chairs jaunes et énormes.

Le frère, ne sachant témoigner autrement son dégoût, se mit à cracher à terre, ce que voyant, Arrivabene éclata de rire, puis, me prenant le bras :

— Partons, me dit-il.

Et nous franchîmes le seuil du couvent.

Le travail, la maladie, l’obsédante pensée de Carlona m’avaient fait oublier ma servitude claustrale, mais quand je retrouvai les rues pleines de soleil, de rires, de babillage et de cris, quand j’aperçus, aux éventaires, la chair rose des pastèques parmi les oranges dorées et les choux pansus aux belles nervures, je goûtai délicieusement ma liberté. Je songeais combien ma robe et mes sandales de moine eussent étonné mes anciens compagnons de fête. Justement je rencontrai la Bazzotta, une bonne fille que je fréquentais jadis ; elle s’en allait avec un petit panier sous le bras ; elle nous regarda tous les deux, mais ne nous reconnut point.

Nous entrâmes aux palais Boldu, Foscolo, Morosini, que le père Antonio nous avait désignés. Partout nous fûmes reçus ; nous eûmes bientôt dix scudi qu’Arrivabene fit sonner avec amour dans sa besace. Puis, avisés que d’autres frères se chargeaient de la quête en ville, nous prîmes une barque et gagnâmes la route de Padoue, où plusieurs familles de Venise, riches et bienfaisantes, ont leur villa.

Comme le soleil était chaud et la route poudreuse, nous marchions lentement, essuyant sans cesse nos fronts qui dégouttaient de sueur. Soudain le frère s’arrête et prête l’oreille.

— Entends-tu, me dit-il, ce joli chant qui remplit d’aise tout le voisinage ? Il y a un nid de pinsons ici.