Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/365

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Je compris que le moment était venu de jouer le dernier acte de ma comédie. Comme Moïse rentrait un soir, il fut assailli par des cestaruoli que Michele avait engagés sur l’Arsenal. Ils avaient reçu l’ordre de ne point le frapper, mais seulement de lui faire grand’peur en le menaçant de le tuer. Ils devaient fuir à l’approche d’une autre troupe qui, après avoir rempli la rue de clameurs, proférerait des insultes et des menaces sous les fenêtres de mon palais.

Tout réussit à merveille. Moïse rentra haletant et à demi-mort de terreur :

— Imagine-toi, me dit-il, quand il fut revenu de son émotion, imagine-toi que des brigands m’ont attaqué sur le seuil de ma porte !

— Ah ! mon cher Moïse, répliquai-je en pleurant, c’est horrible ce que je vais te dire et, pourtant, c’est la vérité : on veut t’assassiner.

— M’assassiner ! répéta-t-il, m’assassiner ! Et pourquoi voudrait-on m’assassiner ? Quel mal ai-je fait ?

— Le frère Martino de Calabre te hait, tu le sais bien. Il espérait que la Seigneurie se déciderait à fermer la Banque de la Foi et à t’expulser. Voyant qu’elle hésite encore, il a décidé de te tuer lui-même. Tiens, lis !

Je lui montrai une lettre, écrite par Cecca sous la dictée de Michele, où une amie, qui ne voulait pas dire son nom, m’avertissait du grand complot tramé contre les juifs par le frère Martino de Calabre, et que lui avait, par hasard, révélé son amoureux. Il devait y avoir prochainement des massacres à Venise et l’inconnue me pressait de fuir.

Moïse n’avait pas achevé la lecture, qu’un grand bruit, des vociférations éclatèrent au dehors. Aussitôt, je me jette aux pieds de Moïse, j’embrasse ses genoux et, tout en sanglotant :