Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/366

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— Au nom de Dieu ! m’écriai-je, mon cher Moïse, pars, sauve-toi, ils vont te tuer si tu restes ici.

Moïse était dans un trouble extrême ; mais l’inquiétude paralysait sa résolution.

— Je ne puis pas abandonner ma banque, finit-il par dire. Si Venise veut se ruiner, c’est son affaire, mais, moi, je ne veux pas perdre toutes mes richesses : j’attends de grandes rentrées ces jours-ci.

Je lui parlai de la sorte :

— As-tu confiance en moi ? Oui ! alors pourquoi ne pourrais-je pas, moi-même, avec tes associés toucher les sommes que tu attends ? Je n’ai besoin que de ta procuration. Aie soin de ta vie, j’aurai soin de ton argent, et laisse tes ennemis se ruiner eux-mêmes. Je réglerai toutes les affaires pendant que tu t’éloigneras de Venise. On répandra le bruit de ta maladie. Et, dès que je le pourrai, j’irai te rejoindre dans la ville où tu te seras retiré.

— Mais ils n’en veulent pas qu’à mon existence ; ils en veulent à ma fortune, à la fortune des juifs !

— Si l’on te croit très malade, Martino de Calabre abandonnera sans doute ses horribles projets, car c’est toi surtout que l’on hait à Venise, et, — tu connais la sottise de ces moines, — il pensera que Dieu lui-même a pris soin de te punir. En t’éloignant tu sauves ta vie, ta fortune et celles de tes frères.

Comme je parlais, j’entendis frapper à la porte qui donnait sur le canal. Les domestiques, déjà couchés, n’allaient point ouvrir, et l’on ébranlait la porte de coups violents.

— Il faut aller voir ce qu’il y a, dit Moïse, et nous descendîmes tous les deux.

— Qui est là ? demanda Moïse, tandis que les coups redoublaient de force.