Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/37

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— Il ne faut point rendre ridicule aux yeux des incroyants de pieuses pratiques, répondit le frère qui avait déjà la bouche pleine.

— Nous prenez-vous pour des suppôts d’hérésie ? s’écria la Petanera : vous vous imaginez donc qu’il n’y a ici que vous de religieux !

— Ces dames sont de bonnes chrétiennes durant leur repas, repris-je.

Cependant le frère jouait des doigts, de la cuiller et engouffrait dans sa bouche des morceaux aussi grands qu’elle.

— Mangez et laissez-moi manger, répétait-il quand on voulait l’interroger, je vous répondrai tout à l’heure.

Il resta muet durant le souper, dévorant ce qu’on lui servait sans se préoccuper des conversations qui lui bourdonnaient à l’oreille.

Comme le repas touchait à sa fin, on entendit s’élever des soupirs et des râles, plus lamentables que ceux des condamnés à la torture : c’était Arrivabene qui ronflait.

Les femmes se précipitèrent sur le moine, l’une lui tirant la barbe, une autre lui secouant les bras, sans parvenir à l’éveiller.

— Frère Arrivabene, s’écriaient-elles, une histoire ! une histoire !

Arrivabene ouvrit enfin des yeux ahuris, mais les referma de suite, et les ronflements, qui s’étaient un instant interrompus recommencèrent, tandis que ses bras pendants, sa bouche ouverte, sa face penchée exprimaient toute la béatitude d’un saint martyr.

— Madame, dis-je à Nichina, on raconte à Venise que votre existence est pleine d’aventures ; il me semble qu’elles doivent êtres belles puisque vous en êtes l’héroïne.