Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/41

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mes supplications ni considérer mes pieds en sang, et qui m’entraînait dans une course folle, sur des routes pierreuses, à travers les broussailles et les chemins d’épines, comme si elle s’était sentie poursuivie par des assassins.

Mais ma véritable existence, celle dont j’ai gardé un exact souvenir, date de cette fête du Jeudi gras où je passai par de si diverses émotions. Je me retrouve alors dans cette étroite maison de la Mercerie, toute obscure du voisinage de l’église Saint-Bartholomé, où mon père, qui était cordonnier, avait sa boutique et où nous nous entassions tous les six, papa, maman, mes deux sœurs Lucietta et Costanza, mon cousin Guido et moi. En ce temps-là, je passais des journées entières à jouer, et à me promener avec Guido. Costanza, ma sœur cadette, d’un naturel triste et chagrin, ne se mêlait à nos jeux qu’afin de raconter nos espiègleries et de nous faire gronder.

Le jour du Jeudi gras, justement, je désirais mettre une belle robe que m’avait donnée ma tante pour aller à la promenade. Maman n’y voulut pas consentir, et, comme je m’obstinais dans ma résolution, elle prenait le balai pour m’en fouetter, quand Guido, qui, pourtant, n’avait qu’une année de plus que moi, se précipite entre nous, me couvre de son corps et s’écrie :

— Touchez-la donc ! dites ! touchez-la donc, et vous allez voir !

Cela n’était pas pour arrêter maman, qui en avait vu bien d’autres et n’avait pas peur d’un garçon comme Guido. Elle allait donc nous corriger vertement quand mon père arrive.

— Jolie mère de famille, s’écrie-t-il, qui n’est bonne qu’à battre les enfants.

— Occupe-toi de ce qui te regarde, répond ma