Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/45

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acrobates traversent dans les airs la place Saint-Marc sur une corde raide, et, le soir, les palais sont illuminés pour la joute en gondole sur le Grand Canal.

J’étais éblouie des beaux spectacles qui s’offraient à ma vue et, en même temps, gênée de me sentir regardée par les passants, d’entendre sans cesse des compliments de ce genre :

— Oh ! la jolie petite fille.

— Mes félicitations, messer.

Papa était plus fier de me tenir la main que s’il eût porté le saint sacrement.

Nous allâmes dîner dans une ostérie dont le maître était un ami de la famille. On voulut savoir le long du repas toutes les sottises que j’avais en tête et l’on accueillit d’un grand éclat de rire chacune de mes reparties.

À la tombée de la nuit, nous sortîmes sur la Place-aux-Herbes, que de grosses torches emplissaient d’une épaisse fumée et de lueurs vacillantes. Une foule immense était massée à regarder les danses qui étaient merveilleuses de grâce, de mouvement et d’agilité. Un jeune homme tournait autour d’une jeune fille qui lui donnait la main, le bras tendu et levé ; mais, tandis qu’il passait devant elle, la jeune fille, quand elle avait quelque malice, raccourcissait le bras tout à coup, rompait l’équilibre de son danseur qui, vaincu et humilié, tombait lourdement à ses pieds, aux rires et aux applaudissements du public. Des jeunes filles dansaient aussi entre elles la forlane, bras dessus, bras dessous ; elles s’avançaient vers vous, levant les pieds l’un après l’autre, si vivement que nous ne pouvions remarquer lequel était en l’air. On ne sait plus tourner comme cela aujourd’hui.

Les grandes ombres des danses tremblaient à la