Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/85

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Leucippe. Examine-moi cette gaillarde qui remue les jambes. Par Jupiter ! est-elle belle ! Et le dessin de cette cheville !… Quand tu trouveras un peintre pour me faire des pieds comme ceux-ci, tu voudras bien me l’amener.

Je restais des heures en contemplation devant la fresque, à la fois surprise et réjouie de voir tout d’un coup une lumière briller dans des yeux jusque-là éteints, un sourire aviver l’éclat des lèvres, les croupes se tendre, s’arrondir, se roser, tandis que jaillissaient, sur les bras, les bleus et fins lacis des veines.

— Quand viens-tu poser, petit ? disait Fasol.

Mais à ces mots je me sauvais à toutes jambes.

Si le cardinal n’était pas trop préoccupé par ses affaires ou ses plaisirs, il nous appelait pour nous lire des vers latins et toscans que nous devions ensuite lui répéter.

Je me souviens qu’un jour Arrivabene se mit dans la tête de m’apprendre une chanson du pays padouan. D’abord il me la cornait lentement à l’oreille, puis l’entonnait lui-même à pleine voix :

Si vous voulez voir la Thietta qui est si belle,
Allez à Sacco où elle habite,
Au delà de Cogio, tout là-bas,
Dans cette petite ruelle où elle a son logis.
C’est une jeunesse, je puis vous le dire,
Nette, polie et bien troussée.
On n’en rencontre pas deux ainsi faites
Dans tout le Vicentin…

Le cardinal, à plusieurs reprises, envoya un valet prier Arrivabene de ne plus chanter, mais le frère, comme enivré par le son de sa voix, ne s’occupait pas de la défense et continuait de plus belle :