Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/86

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Elle a des épaules à hisser jusqu’au clocher
De pleines bannes de fruits ;
Et ses chères mains sont mains à pétrir
Sans peine six boisseaux de farine…

— Veux-tu, cria la voix furieuse de Benzoni, veux-tu ne pas corrompre le goût de mes pages avec tes stupidités rustiques ! Cesse ton chant de campagne et envoie Guido et Nichio me parler.

Laissant le pauvre Arrivabene tout interloqué, nous montâmes chez le cardinal qui était étendu sur son lit, un peu malade d’un excès de travail. Il nous attendait pour le distraire de l’ennui auquel le condamnait un repos forcé.

— Mon petit Nichio, fit-il, ne retiens pas les vilaines leçons de ce moine grossier. Ta bouche fut créée pour les poèmes suaves, les douces paroles, et non point pour les ritournelles de buveurs. Écoute : je connais ton intelligence et ta mémoire ; eh bien ! tu vas m’entendre réciter un sonnet du poète-dieu et tu me le réciteras à ton tour de ta voix fraîche de jeune garçon. Toi, Guido, viens près de moi ; j’aime tant caresser tes cheveux fins et jouer avec les formes exquises de ton corps ! Quand vous arrivez en vous donnant la main, il me semble voir le Printemps et l’Amour s’approcher de moi.

Et le cardinal, d’une voix lente et la face toute transfigurée par la jouissance, respirant chaque mot comme une fleur, me dit cet admirable sonnet :

J’ai senti au fond du cœur s’éveiller
Un esprit amoureux qui dormait,
Et puis j’ai vu venir de loin l’Amour
Si heureux qu’à peine je le reconnus.
Il me dit : Maintenant pense seulement à me faire honneur.
Et chacune de ses paroles riait…

Les vers sont d’une si pénétrante beauté que je pus