Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/89

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J’avais complètement oublié ma famille ; je ne la rencontrais ni n’entendais parler d’elle. Pourtant, un jour je passai devant notre maison. Elle était ouverte. Quelque chose me disait d’y entrer, quelque chose me retenait à la porte. Ne sachant quel parti prendre, j’allai me cacher dans l’échoppe d’un fruitier, où il n’y avait personne, et d’où je voyais sans être vue. Papa clouait des bottes à vigoureux coups de marteau, maman était courbée sur une pièce de grosse toile qu’elle cousait. Ils ne se disaient rien, ils paraissaient tristes, et j’eus grand chagrin de songer que j’avais vécu avec eux des années et que leur maison avait été la mienne. Déjà, je me précipitais pour les embrasser, puis, tout à coup, sur le seuil, j’eus peur : peur d’être battue, peur de ne plus revoir Guido, et je me sauvai, tandis que j’entendais parler maman sans que je pusse comprendre ce qu’elle disait, mais le son de sa voix me poursuivit dans ma course.

Cependant, à la venue du printemps, je sentis mon sexe s’éveiller en moi et le désir me rendit savante. Toutes les causeries que mes parents et les domestiques du cardinal s’étaient plu à tenir devant moi, tous les spectacles qu’ils n’avaient pas eu soin de me cacher et auxquels d’abord je n’avais pas prêté attention, s’offraient à mon souvenir et me servaient de maîtres. J’étais femme et je ne l’ignorais plus. Maintenant aussi, je connaissais mon amour.

Et Guido, de même, prenait les grâces gauches et songeuses de la première jeunesse, mais il me semblait qu’en sortant de l’enfance il s’était dépouillé de toute son amitié pour moi. Il m’évitait, trouvait mille prétextes pour se promener seul.

Je lui disais :

— Guido, pourquoi ai-je quitté la maison ?

11 ne répondait rien et détournait la tête.