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adieux à la vie.

prononçant des paroles mystérieuses, se renseignant ainsi sur l’état du patient et ses chances du guérison. Si le caillou s’alourdit constamment, c’est que le malade n’en réchappera pas, que ses jours sont comptés.

Alors les camarades construisent à quelque distance une hutte en blocs de neige ; ils y étendent quelques « pelus[1] » et fourrures, portent une cruche d’eau et une lampe qui durera ce qu’elle pourra. Celui que rongent les souffrances, qu’accablent la vieillesse ou les infirmités croissantes, dont l’entretien devient difficile, et qui se reproche de coûter à la communauté plus qu’il ne rapporte, se couche : frères et sœurs, femmes autant qu’il en a, fils et filles, les parents et amis viennent faire leurs adieux, s’entretenir avec celui qu’ils ne verront plus. On ne reste pas davantage qu’il est nécessaire, car, si la mort surprenait le malade, les visiteurs devraient dépouiller au plus vite leurs habits et les jeter au rebut, ce qui ne laisserait pas que d’être une perte sensible. Nulle émotion apparente, ni cris, ni larmes, ni sanglots ; on s’entretient tranquillement et raisonnablement. Celui qui va partir fait ses recommandations, exprime ses dernières volontés. Quand il a dit tout, les amis se retirent, l’un après l’autre, et le dernier obstrue l’entrée avec un bloc de glace. Dès ce moment, l’homme est défunt pour la communauté. La vie n’est qu’un ensemble de relations sociales, une série d’actions et de réactions appelées peines ou plaisirs, moins différentes entre elles qu’on ne pense. La mort, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, est un acte individuel. Les animaux le comprennent ainsi, et s’ils ont la rare chance de finir autrement qu’assassinés

  1. Terme employé par les Franco-Canadiens.