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Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/68

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les onoïts orientaux.

et dévorés, dès qu’ils sentent la faiblesse les gagner, ils vont se cacher au plus épais fourré, se terrer dans le plus profond trou, disparaître dans la plus obscure caverne. À ce point de vue, le primitif est encore un animal : il sait qu’il faut mourir seul. Nulle part cette expression ne se trouve plus vraie que chez les Esquimaux. La dernière scène de leur vie, permis de la trouver d’un égoïsme hideux et repoussant ; permis aussi d’y voir un acte solennel et grandiose, empreint de lugubre majesté.

Déjà la hutte n’est plus qu’une tombe, celle d’un vivant, qui durera quelques heures encore, peut-être quelques jours. Il a écouté la porte se fermer, les voix s’éloigner. La tête penchée en avant, les mains appuyées sur les cuisses, il pense et se souvient. Ce qu’il vit, ce qu’il sentit jadis, lui revient en mémoire ; il se rappelle son enfance et sa jeunesse, ses exploits et ses amours, ses chasses et aventures ; il remonte la trace de ses pas. Plus d’espoirs maintenant, plus de projets, et quant aux regrets, à quoi bon ? Qu’importe maintenant l’orgueil, qu’importe la vanité ? Personne à jalouser, personne à mépriser. Seul à seul avec lui-même, il peut se mesurer à sa juste valeur. — « Je fus cela, autant et pas davantage. » Quitter la vie, ses fatigues, ses fréquentes famines, ses déboires et chagrins, il en prendrait facilement son parti. Mais ce terrible inconnu de là-bas intimide ; mais ce monde des esprits dont les Angakout racontent de terribles visions ?… La fièvre l’altère, ronge les organes et lui dévore les entrailles. Il boit quelques gorgées, mais retombe épuisé. La lampe s’est éteinte ; nulle nuit ne fut plus obscure. Ses yeux voilés et ténébreux épient la Mort. Il la voit, la Mort. Elle s’est montrée à l’horizon, point noir sur la grande plaine blanche que la pâle lueur des étoiles éclaire