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Page:Reinach - Cultes, mythes et religions, Tome II, 1909.djvu/8

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notamment en ce qui concerne le sacrifice de communion et la domestication des animaux.

Il rappelle d’abord ce que M.Tylor écrivait en 1898 : « Jusqu’à ce que le sacrifice tolémique ait été démontré par quelque preuve plus solide, on fera mieux de le laisser de côté en théologie spéculative » — et M. Lang ajoute : « en sociologie spéculative ». Je regrette qu’il n’ait pas insisté sur cette objection. Depuis que le génie de Robertson Smith a reconnu le sacrifice de communion chez les Sarrasins d’avant Mahomet et dans certains cultes gréco- romains, les preuves à l’appui de sa découverte se sont multipliées non seulement en Australie — où l’on a signalé un exemple complet du sacrifice et de la manducation du totem — mais par l’analyse plus attentive des mythes grecs fondés sur des rituels. J’ai montré, pour ma part, que les mythes de Zagreus, d’Orphée, de Penthée, d’Actéon[1] dérivent de rites de communion très anciens ; si M. Lang veut bien examiner à loisir le long mémoire que j’ai consacré à la mort d’Orphée (p. 85-122 de ce volume), je crois qu’il reconnaîtra avec moi que le mystère est éclairci et que ma solution pourrait presque prétendre à l’évidence, alors même que des faits parallèles d’ethnographie ne viendraient pas la confirmer. Je sais bien — et je n’ai pas voulu taire — qu’il résulte de là de graves conséquences pour le christianisme. Non seulement cette religion se rattache ainsi, par le sacrifice de communion qui en est le centre, aux cuites populaires et mystiques de l’antiquité, aux croyances de paysans et d’esclaves sous-jacentes au paganisme ou au mosaïsme officiels, mais elle rentre, si l’on peut dire, dans le grand courant des religions universelles et cesse d’offrir une énigme à la raison. Bien plus : une fois que le sacrifice du dieu ou du héros (Adonis, Attis), dans les cultes païens, paraît dénué de toute réalité historique, puisqu’il n’est que la traduction anthropomorphique du sacrifice périodique du totem, la bonne foi exige que l’on ne considère pas autrement le sacrifice qui fait le fond du christianisme. La croix du Golgotha ne disparaît pas de l’histoire, puisqu’elle la domine depuis près de vingt siècles et la dominera longtemps encore ; mais elle perd, aux yeux de l’historien, toute réalité tangible. Les chrétiens des premiers temps de l’Église qui, sous le nom de Docètes, niaient la matérialité de Jésus fait homme, avaient plus raison qu’ils ne le

  1. Le mémoire relatif à Actéon est destiné au troisième volume de cet ouvrage ; je l’ai lu à l’Académie des Inscriptions au mois d’août 1903.