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DIDEROT.


la méthode de Descartes était surpassée, et les critiques réputés les plus impitoyables désarmèrent.

Ce qui fait, entre tous les siècles, la noblesse et la grandeur du xviiie siècle, c’est que l’âme française ne fut jamais, précisément pendant le cycle de l’Encyclopédie, plus assoiffée de vérité et de justice, plus éprise de claire lumière. Sous le gouvernement le plus vil qu’elle eût encore subi, elle se redressait de toute la force invincible de l’esprit. Le combat n’était pas encore pour les réalités pratiques ; il était tout entier pour les idées. L’image de Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant », ne fut jamais plus vraie que des philosophes et de leurs amis. Entre la Bastille et le donjon de Vincennes toujours menaçants, entre la brutalité de la censure et la haine exaspérée des Jésuites, les philosophes étaient les plus faibles des roseaux, mais ils pensaient, et leur pensée, alors même qu’elle ne se risquait au dehors que voilée, avait tous les rayonnements du glaive. Chaque pensée nouvelle, au fur et à mesure quelle éclatait, chassait et dissipait devant elle un pan d’ombre, un peu de superstition et de tyrannie. Cette marche, lentement, mais irrésistiblement ascendante, de la philosophie envahissait le ciel comme une aurore. Dès qu’eurent résonné la fanfare du Prospectus de Diderot et le pæan du Discours préliminaire de d’Alembert, tous les yeux se tournèrent du côté où l’armée de l’avenir se fai-