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L’ENCYCLOPÉDIE.


deur de vouloir bien se laisser toucher par l’embarras ruineux dans lequel les jette l’éloignement de leur éditeur, et de leur accorder son retour à Paris en faveur de l’impossibilité où il est de travailler en prison ». Le ministre se trouva un peu honteux, à la réflexion, d’avoir accordé l’incarcération du philosophe à la vanité blessée d’une Salomé bourgeoise ; Diderot, après avoir promis à M. de Malesherbes d’« être sage », avait repris ses travaux.

Tout en se cabrant contre l’iniquité, il avait compris pourtant l’avertissement ; rien que par les noms de ses auteurs, l’Encyclopédie est déjà, avant de naître, suspecte au pouvoir ou plutôt aux deux pouvoirs, le trône et l’autel ; dès lors, si l’on veut arriver au but et non se livrer à une manifestation stérile, il va falloir s’imposer la plus sévère réserve. Et nulle contrainte évidemment ne saurait peser davantage à Diderot qui avoue lui-même « avoir toujours eu la fureur de dire tout ce qu’il est de la prudence de taire ». Mais s’il ne se résigne pas et s’il ne prêche pas lui-même d’exemple, comment vivre ? c’est encore la première condition pour pouvoir philosopher, et ne serait-ce pas trahir encore les libraires qui ont engagé, avec quelques associés, une si énorme fortune dans l’entreprise ? Diderot fait donc à l’Encyclopédie le plus grand sacrifice qu’il puisse faire, celui de Diderot. Vingt ans de suite, et tous les jours pendant vingt ans, dès qu’il a touché le seuil de son bureau, il congédie brusquement le révolté qui est en lui. Il a reçu de la nature une voix