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DIDEROT.


de tonnerre dont le roulement libre éveillerait les morts ; il l’étouffe et met lui-même la pédale sourde à sa musique.

Il ne se contente pas de se taire ; il se condamne à se mentir à lui-même. Il a écrit que « le premier pas vers la philosophie, c’est l’incrédulité » ; il enregistre maintenant les définitions et s’incline devant l’autorité de l’Église. Il est l’ennemi personnel de la religion chrétienne, qu’il appelle, dans ses lettres, avec une violence d’iconoclaste, « la plus absurde et la plus atroce dans ses dogmes, la plus funeste à la tranquillité publique, la plus dangereuse pour les souverains, la plus inintelligente et la plus gothique » ; mais il proclamera dans l’Encyclopédie, et d’Alembert professe avec lui que « seule la religion révélée peut nous instruire de notre existence présente ou future, de l’essence de l’Être auquel nous la devons et du genre de culte qu’il exige de nous ». Il n’y a jamais eu de déterministe plus ardent et il a écrit vingt fois que le mot de liberté est un mot vide de sens. « Nous ne sommes que ce qui convient à l’ordre général, à l’organisation, à l’éducation et à la chaîne des événements ; voilà ce qui dispose de nous invinciblement ; on ne conçoit non plus qu’un être agisse sans motifs qu’un des bras d’une balance agisse sans l’action d’un poids ; le motif nous est toujours extérieur, étranger, et ce qui nous trompe, c’est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l’habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le