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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/389

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ROLLA.

Crois-tu ta mission dignement accomplie,
Et comme l’Éternel, à la création,
Trouves-tu que c’est bien, et que ton œuvre est bon ?
Au festin de mon hôte alors je te convie.
Tu n’as qu’à te lever ; — quelqu’un soupe ce soir
Chez qui le commandeur peut frapper et s’asseoir.

Entends-tu soupirer ces enfans qui s’embrassent ?
On dirait, dans l’étreinte où leurs bras nus s’enlacent,
Par une double vie un seul corps animé.
Des sanglots inouis, des plaintes oppressées,
Ouvrent en frissonnant leurs lèvres insensées.
En les baisant au front, le plaisir s’est pâmé.
Ils sont jeunes et beaux, et, rien qu’à les entendre,
Dans son pavillon d’or le ciel devrait descendre :
Regarde ! — ils n’aiment pas ; ils n’ont jamais aimé.

Où les ont-ils appris, ces mots si pleins de charmes
Que la volupté seule, au milieu de ses larmes,
A le droit de répandre et de balbutier ?
Ô femme ! étrange objet de joie et de supplice !
Mystérieux autel, où, dans le sacrifice,
On entend tour à tour blasphémer et prier !
Dis-moi, dans quel écho, dans quel air vivent-elles,
Ces paroles sans nom, et pourtant éternelles,
Qui ne sont qu’un délire, et depuis cinq mille ans
Se suspendent encore aux lèvres des amans ?

Ô profanation ! point d’amour, et deux anges !
Deux cœurs purs comme l’or, que les saintes phalanges
Porteraient à leur père, en voyant leur beauté !
Point d’amour ! et des pleurs ! et la nuit qui murmure,
Et le vent qui frémit, et toute la nature
Qui pâlit de plaisir, qui boit la volupté !
Et des parfums fumans, et des flacons à terre,
Et des baisers sans nombre, et peut-être, ô misère !