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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/43

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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

porte des cellules ; que nul ne viendra les remplir, lorsqu’elles seront vides, et que le plus jeune de ces hommes, leur survivant à tous, et sentant à son tour qu’il va succomber, fermera la porte du cloître en-dedans, et ira se coucher lui-même vivant dans la tombe qu’il aura creusée, car le lendemain il ne resterait plus de bras pour l’y porter mort.

On a dû voir, par les choses que j’ai écrites précédemment, que je ne suis pas un de ces voyageurs qui s’enthousiasment à froid, qui admirent là où leur guide leur dit d’admirer, ou qui feignent d’avoir eu, devant des hommes et des localités recommandés d’avance à leur admiration, des sentimens absens de leur cœur ; non, j’ai dépouillé mes sensations, je les ai mises à nu pour les présenter à ceux qui me lisent ; ce que j’ai éprouvé, je l’ai raconté faiblement peut-être, mais je n’ai pas raconté autre chose que ce que j’avais éprouvé. Eh bien ! on me croira donc si je dis que jamais sensation pareille à celle que j’éprouvai ne m’avait pris au cœur, lorsque je vis, au bout d’un immense corridor gothique de huit cents pieds de long, s’ouvrir la porte d’une cellule, sortir de cette porte et paraître sous les arcades brunies par le temps un chartreux à barbe blanche, vêtu de cette robe portée par saint Bruno, et sur laquelle huit siècles sont passés sans en changer un pli. Le saint homme s’avança, grave et calme, au milieu du cercle de lumière tremblotante, projetée par la lampe qu’il tenait à la main, tandis que devant et derrière lui tout était sombre. Lorsqu’il se dirigea vers moi, je sentis mes jambes fléchir, et je tombai à genoux : il m’aperçut dans cette posture, s’approcha avec un air de bonté et levant sa main sur ma tête inclinée, me dit : « Je vous bénis, mon fils, si vous croyez ; je vous bénis encore, si vous ne croyez pas. » Qu’on rie, si l’on veut, mais dans ce moment je n’aurais pas donné cette bénédiction pour un trône.

Lorsqu’il fut passé, je me relevai. Il se rendait à l’église, je l’y suivis. Là un nouveau spectacle m’attendait.

Toute la pauvre communauté, qui n’est plus composée que de seize pères et de onze frères, était réunie dans une petite église, éclairée par une lampe qu’entourait un voile noir. Un chartreux disait la messe, et tous les autres l’entendaient, non point assis, non point à genoux, mais prosternés, mais les mains et le front sur