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gardez-moi bien le secret, car s’il est en vous un écho bavard, qui répète les paroles de ma peur, je vous démolirai pierre à pierre jusqu’à ce que je l’aie arraché de vos entrailles, fût-il caché dans le ciment et scellé dans le granit… Ma mère, m’avez-vous appelé ? (Il se lève tout à fait et se frotte les yeux.) Meg, ma mère !… Pardon ! pardon, je me suis endormi !… Je divague… J’ai dormi une heure !… L’horloge moqueuse semble me demander ce que j’ai fait du temps ! Tu as dormi, bête stupide !… Tu n’as pas pu lutter une heure… comme les disciples du Christ, tu as mal gardé le jardin des Oliviers. — Jésus ! tu bois en vain l’éternel calice des douleurs humaines ; ton père est sourd, ton frère l’esprit saint a perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poète est aride comme la terre, et le cœur des riches est insensible comme le ciel… Voyons si ce canif aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (Il se fait une incision à la poitrine, étouffe un cri et jette le canif.) Votre leçon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi… Passez-moi le calembourg, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite lame !… Ah ! me voici bien éveillé, Dieu merci ! cette charmante plaie me cuit passablement. Je puis travailler maintenant… Mais qui donc a ainsi bouleversé ma table ?… Quelqu’un est entré ici… Est-ce que j’aurais encore peur ?… Imbécille ! tu es poltron, et pour te guérir, tu répands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste ! et tu gâtes ta chemise comme si tu en avais une autre ! Faquin ! perdras-tu tes habitudes de grand seigneur ?… Je souffre… le froid entre dans cette plaie comme un fer rouge. N’importe, je crois que je vais pouvoir travailler… (Mettant ses deux bras sur sa tête.)

Mon courage, mon Dieu ! ma mère !… Il faut que j’aille embrasser ma mère sans la réveiller, cela me portera bonheur. (Il prend sa lumière et sort.)

(Il redescend de la soupente d’un air effaré.)

Mais où est donc la vieille femme ? Ma mère ! ma mère ! Qu’est-ce qui a pu me voler ma mère ? Je n’avais qu’elle au monde pour causer mon désespoir et conserver mon héroïsme…

(Il trouve sa mère sous l’escalier.)

Ah !… ma mère est morte ? Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin ? — Comment ! vous êtes morte, ma mère ? (Il la retire de