Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/495

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
489
ALDO LE RIMEUR.

dessous l’escalier et la regarde.) Oui, bien morte ! Froide comme la pierre et raide comme une épée. Ah ! ma mère est morte !…

(Il rit aux éclats et tombe en convulsions.)
(Après un silence.)

Mais pourquoi êtes-vous déjà morte ? Vous étiez bien pressée d’en finir avec la misère ! Est-ce que je ne vous soignais pas bien ? Étiez-vous mécontente de moi ? Trouviez-vous que j’épargnais ma peine et que je ménageais mon cerveau ? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d’être la mère d’un si méchant rimeur ? Vous étiez un bas-bleu autrefois dans votre village !… Aujourd’hui vous n’êtes plus qu’un pauvre squelette aux jambes nues. Pauvres jambes, vieux os ! Je vous avais enveloppés encore ce soir avec mon pourpoint !… Est-ce ma faute si la doublure était usée, et l’étoffe mince ? C’est comme l’étoffe dont vous m’avez fait, ô vieille Meg ! J’étais votre septième fils ; tous étaient beaux et grands, musculeux et pleins d’ardeur, excepté moi le dernier venu. C’étaient de vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns ; et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu’à Ryno le Roux, tous sont morts sans songer à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté que le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit débile de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu’il n’a fait ? que ne lui donniez-vous comme à vos autres fils une large poitrine et de mâles épaules ! Cette petite main de femme que voici pouvait-elle manier les armes du bandit, ou la carabine du braconnier ? Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et boxer avec l’esturgeon ? Vous n’aviez rien espéré de moi, et me voyant si chétif, vous n’aviez même pas daigné me faire apprendre à lire. — Et quand tous vous ont manqué, quand vous vous êtes trouvée seule avec votre avorton, n’avez-vous pas été surprise de découvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait retenu et commenté les chants de nos bardes ? Quand cette voix grêle a su faire entendre des mélodies sauvages qui ont ému les hommes blasés des villes, et qui leur ont rappelé des idées perdues, des sentimens oubliés depuis long-temps, vous avez embrassé votre fils sur le front, sanctuaire d’un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. Eh bien ! ne pouviez-vous attendre quelques jours encore ? La richesse allait