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raire certain, doué de vie et de force, autant que le permettait l’époque. Entre deux écoles, dont l’une se mourait et dont l’autre ne vivait pas encore, il formait par privilége le seul lien de transition un peu puissant auquel se pussent rattacher toutes les sympathies moyennes. Mais l’instant n’était pas éloigné où ce rôle allait déchoir à l’avènement prochain de la jeune génération littéraire, et où le poète des Vêpres siciliennes, dérouté dans ses allures, dépassé dans sa voie, devait perdre un terrain considérable, en proportion de l’audace et du succès des novateurs. Le régime académique n’était pas fait non plus pour aiguillonner vivement le poète menacé d’une dépossession prochaine. C’est une remarque générale et constante, que la chaise curule du patriciat littéraire endort en quelque façon les esprits les plus vigilans ; il n’est jamais arrivé, je pense, qu’aucun écrivain ait gardé toutes ses franchises d’inspiration sous les voûtes de l’Institut, cette Capoue si fatale aux Annibals de la littérature. Les plus jeunes et les plus intrépides même, ceux qui par tâche et entraînement sont voués à poursuivre, sous les palmes académiques, la vie littéraire militante, y semblent laisser quelque chose de leur première veine. Le jour où il mettait pied dans l’Académie, la veille du triomphe romantique, M. Casimir Delavigne posait une barrière que sa renommée, sa popularité, son talent même, ne devaient plus franchir. Soit qu’il se reposât trop sur ses triomphes, soit que déjà son élan poétique fût épuisé, ou plutôt que son étoile eût pâli à l’approche d’un nouvel astre, l’auteur du Paria et de l’École des Vieillards, quoi qu’il en fût, abdiquait désormais le sceptre. Dès-lors il parut condamné à se reproduire lui-même, ou à trop chercher en d’autres des inspirations de reflet.

C’est une année environ après son entrée à l’Académie, qu’il faut noter un voyage de M. Casimir Delavigne en Italie, lequel, par un certain côté, a bien son importance. Au dire de quelques biographes, il s’agissait simplement, pour le poète académicien, de rétablir une santé chancelante ; mais pour moi j’aime mieux penser qu’il fut naturellement un résultat du système prévoyant de M. Casimir Delavigne, faisant tout à propos, mettant chaque chose en son lieu, agissant en tout état de cause avec intention et parti pris. Après les brillans succès de théâtre, après le couronnement académique, le voyage en Italie formait un complément indispensable pour tant d’heur et de satisfaction, et était comme un triomphe achevé. L’Italie avait vu les plus grands poètes du siècle, et récemment M. de Lamartine, avec lequel une épître devait être échangée au départ. Et puis, il fallait renou-