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REVUE DES DEUX MONDES.

BOURSET.

Oh ! dans un an, ce serait misérable. Si vous vous donnez la peine d’attendre tout ce temps, il vous faudra tripler tout au moins.

LE DUC.

Comme il y va !… Voyons, Bourset, vous êtes mon ami avant tout, n’est-ce pas ? Que me conseillez-vous ?

BOURSET.

De vivre de peu et avec économie ; c’est encore le plus sûr moyen d’être heureux.

LE DUC.

Allons, je vois que vous n’avez pas envie de m’obliger. Vous n’avez plus d’actions pour moi ?

BOURSET.

Il est vrai, j’en ai réservé pour quinze cent mille francs au duc de la F…

LE DUC.

Vous m’en céderez pour un million. Le duc a déjà gagné immensément, et ce n’est pas juste. Allons, traitez-moi en ami.

BOURSET.

Je ne puis. Jusqu’ici je me suis imposé la loi de ne délivrer d’actions à mes amis qu’en leur donnant une caution sur ma propre fortune, et je n’ai plus un coin de propriété au soleil qui soit libre d’hypothèque.

LE DUC.

Et le duc vous confie ses fonds sans hypothèque, lui, si âpre au gain, si méfiant au jeu ?

BOURSET.

Il connaît les affaires, lui, il sait qu’il joue à coup sûr.

LE DUC.

Eh bien ! laissez-moi faire le coup à sa place.

BOURSET.

Non, ne le faites pas. Si les choses n’allaient pas tout d’abord à votre gré, vous me feriez des reproches, et des reproches de votre part me seraient trop sensibles. Il n’est rien de plus sérieux au monde que de faire des affaires avec des gens qui ne les comprennent pas, qui pour un rien prennent l’alarme, croyant tout perdu, et vous font tout manquer au plus beau moment.

LE DUC.

Mais, enfin, je ne suis pas si borné qu’avec un peu d’étude et d’attention je ne puisse comprendre les affaires aussi, moi ! que diable ! Je ne vois pas que la F… soit un homme si habile. D’où cela lui serait-il venu ? Voyons, Bourset, cédez-moi son action, ou je vous jure que j’y verrai de votre part une mauvaise volonté, mortelle à notre amitié.

BOURSET.

Si vous le prenez ainsi, je cède ; mais je voudrais vous donner une hypothèque, et en vérité… je ne sais plus… (Il rêve.)