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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/709

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ANTONIO PEREZ.

Publiés en espagnol à Paris, traduits, commentés et abrégés, ils émurent singulièrement les ames, intéressées par la destinée d’Antonio et frappées de l’énergie castillane, de la gravité sentencieuse, du laconisme pompeux, qui se révélaient ainsi pour la première fois chez nous. C’était chose inconnue et de saveur nouvelle.

Une certaine gravité orientale y respirait. Elle charma la facilité de nos esprits, et ce don particulier d’imitation intelligente qui est le bon côté de la mobilité nationale. Courtisans et gens de robe admirèrent à l’envi ces maximes d’état, sentencieuses leçons données par un homme que de longs malheurs et l’expérience des grandes affaires avaient éprouvé. Si vous joignez aux Relaciones Cartas y Aforismos d’Antoine Perez, les préceptes solennels de Baltazar Gracian, que Balzac imita de si près, les Proverbes castillans traduits deux ans plus tard par Maxime Oudin, et les Contes et Nouvelles de Marie de Zayas, vous verrez poindre ainsi chez nous, de 1602 à 1630, le premier rayon du génie cornélien ; vous saisirez à la source le premier flot de cette inondation espagnole, dont le réfugié Perez fut évidemment l’initiateur, dont Corneille fut le dieu, que la régence espagnole d’Anne d’Autriche fit dominer jusqu’en 1650, et qui alla se perdre, non sans laisser des traces énergiques de son passage, sous le trône de Louis XIV et parmi la grande forêt de talens achevés qui abritaient et couronnaient ce trône.

Avant d’expliquer la valeur littéraire de l’œuvre et son influence, racontons l’histoire d’Antonio Perez.

Antonio Perez, appartenant à une grande famille de Montréal de Ariza, petit-fils d’un secrétaire de l’inquisition, fils de Gonzalo Perez, secrétaire d’état de Charles-Quint, fut présenté à Philippe II, roi d’Espagne, par Ruy-Gomez de Sylva, mari de cette belle et célèbre princesse d’Éboli. Philippe II, el Prudente, ainsi que les théologiens du temps le qualifiaient, conciliait l’usage et l’abus de toutes les voluptés, la pratique des affaires les plus compliquées, les desseins les plus cachés et les plus ambitieux, l’emploi de tous les crimes utiles, et la dévotion la plus superstitieuse. À peine Antonio eut-il mis le pied à la cour, les faveurs du roi l’accablèrent. Secrétaire d’état à vingt-cinq ans, protonotaire de Sicile, recevant en outre de la caisse royale une pension de 12,000 et une autre de 74,000 ducats, il n’explique point dans ses mémoires la cause de cette rapide et extraordinaire élévation ; mais il est facile de suppléer à son silence. La princesse d’Éboli avait inspiré au roi une passion vive, et Ruy-Gomez, son mari, était trop habile pour n’être pas aveugle. Protectrice d’An-