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aussi armé leurs engagés. L’exact et véridique auteur de l’Histoire des Antilles nons a conservé les noms des meneurs de cette rébellion : c’étaient un neveu du patron Baillardet et deux riches colons, Vigeon et Sigaliz. Ils amenaient chacun environ deux cents hommes bien armés et fort résolus. À l’approche de cette troupe, M. de La Fontaine-Héron, commandant de la place de Saint-Pierre, avait promptement réuni tout son monde, et la garde de la petite reine était rangée au fond de la cour. Marie ordonna à M. de La Fontaine-Héron de faire mettre bas les armes à ses gens, puis elle s’avança seule au-devant des révoltés jusque sur la porte de la grande cour ; là, elle s’arrêta et dit avec calme :

— Que voulez-vous, messieurs, et par quel motif vous présentez-vous ainsi devant moi ?

Une clameur inintelligible s’éleva, il y eut un moment de confusion et de désordre, tous répondaient à la fois ; puis Sigaliz s’avança et porta la parole :

— Madame, dit-il, les notables habitans sont réunis en ce moment dans les magasins du Mouillage pour aviser aux intérêts de la colonie ; nous venons en leur nom vous sommer de vous rendre à cette assemblée.

— Nulle assemblée ne peut se former si elle n’a été convoquée par moi, répondit Marie avec fermeté ; je ne reconnais aucun des actes émanés de ce nouveau pouvoir. Retirez-vous, et dites à ceux qui vous envoient que je suis prête à les entendre, s’ils veulent venir ici me soumettre leurs réclamations.

— Ce n’est pas entre les murailles du fort, sous les mousquets de la garnison qu’ils pourraient parler librement, s’écria Sigaliz ; il faut nous suivre, madame.

À ces mots, il fit un mouvement comme pour mettre la main sur la petite reine. Ce geste fut le signal de l’attaque. Les révoltés tentèrent d’envahir la cour, tandis que les gardes, serrés autour de Marie et la pique en avant, tâchaient de protéger sa rentrée dans les appartemens du fort ; mais Vigeon et ses hommes s’emparèrent bientôt de la porte. Au milieu de ce tumulte, on entendait une voix qui criait : Sauvez, sauvez madame !… C’était celle de Palida ; l’esclave s’était jetée devant sa maîtresse et la couvrait de son corps. Au bout de quelques minutes, Sigaliz se fit jour jusqu’à la petite reine, et, la saisissant d’un bras vigoureux, il l’emporta tout échevelée et couverte de sang.

— Elle est prisonnière ! elle est prisonnière ! cria-t-on de tous cotés,