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comme il en faut souvent au parterre de San-Carlino, qui diffère essentiellement de ce parterre romain qui comprend à demi-mot. Pulcinella n’a pas non plus la finesse d’esprit et les manières distinguées de Cassandrino. Son moyen de conciliation ordinaire, c’est le bâton : il bâtonne tour à tour le philosophe, le militaire, l’avocat, le médecin, le musicien ; et, quand ceux-ci sont à peu près éreintés, il se félicite du succès de sa méthode curative. Flavio, que le bain et les douches ont calmé, le voyant de bonne humeur, l’aborde d’un air grave et essaie encore une fois de le persuader. — Envoyez quelqu’un de confiance à mon magasin de la rue de Tolède, et vous serez convaincu que je vous dis la vérité. — Chaque fou en dit autant ; ne me rompez pas la tête de ces fadaises, ou gare l’eau froide ! — Vous ne voulez donc envoyer personne ? — Non. — Vous ne me croyez donc pas ? — Non. — Mais au moins écoutez mes raisons. — Je n’écoute rien. — Ah ! misérable !… — Encore ! — Et Pulcinella applique à Flavio, qui le menaçait du poing, une terrible volée de coups de bâton et le laisse tout étourdi sur la place. Le pauvre diable, qui se voit battu, volé, et qui court risque d’être ruiné, car ce jour-là est un jour d’échéances, et l’on va croire, en ne le trouvant pas chez lui, qu’il se sera enfui, ne sait plus à quel saint se vouer ; il a voulu faire un coup de tête, il a essayé la persuasion, tout a été inutile. Une affreuse idée lui traverse tout à coup l’esprit ; personne ne sait qu’il est dans cette maison, et, comme les communications avec le dehors sont interdites, il court risque d’y passer toute sa vie. Il s’abandonne un moment au désespoir, mais bientôt, reprenant courage : — Après tout, dit-il, n’ai-je pas ma raison comme cet infame docteur ? Je puis donc lutter avec lui et lui prouver que je ne suis pas plus fou que lui.

Flavio a remarqué que Pulcinella avait des pistolets ; il se glisse dans sa chambre, s’en empare, et profitant d’un moment où les gardiens font la sieste, il les enferme chacun dans sa cellule. Il est sûr maintenant de pouvoir s’échapper ; mais cela ne lui suffit pas, il veut se venger des coups de bâton que l’abominable docteur lui a donnés. — Et puis, ajoute-t-il, je veux lui prouver qu’il n’y a qu’à enfermer un homme de bon sens avec des fous pour mettre une maison à l’envers ; une autre fois il y regardera de plus près. — Profitant d’un moment où le docteur est dans son cabinet, il appelle ses nouveaux compagnons, caresse la folie de chacun d’eux et les endoctrine de son mieux. — Vous n’avez tous, leur dit-il, qu’un ennemi, qu’un envieux qui vous persécute, c’est l’infame Pulcinella ; mais, si vous voulez suivre mes conseils, nous mettrons ce vieux coquin-là à la raison. —