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les deux divinités sont honorées de concert. Les dieux locaux d’une province (nome) donnaient ainsi l’hospitalité à ceux de la province la plus proche, et voisinaient pour ainsi dire avec eux.

Le temple d’Hermonthis est d’un effet agréable. Tout auprès s’élèvent le dôme blanc d’un santon et des palmiers. Les pigeons, dont je parle dans ma lettre à M. de Châteaubriand, volent et tourbillonnent par milliers autour des chapiteaux, ou se posent en longues files sur les architraves. L’impression qu’on éprouve ici n’est pas la stupeur dans laquelle on tombe en présence des ruines de Karnac. Cette ruine a de la grace et va bien au souvenir de Cléopâtre.

Dans l’intérieur du temple, un triste spectacle m’attendait : on a fait de cet intérieur une prison. Je me suis trouvé tout à coup entouré de mornes figures portant toutes l’expression de la patience et de la résignation. Là, m’a-t-on dit, sont des enfans qu’on garde depuis un an, parce que leurs parens ont fui. Cet homme a été ruiné par la mauvaise qualité des bœufs que le gouvernement lui a vendus. Un autre est ici depuis cinq ans, parce que le Nil n’est pas venu féconder son champ et qu’il a été dans l’impossibilité de payer le tribut. Je remarque un noir enchaîné, et qui ne peut repousser les mouches dont il est dévoré. On conçoit qu’il me reste peu de liberté d’esprit pour étudier les représentations mythologiques étalées sur les parois du temple. C’est dommage, car elles semblent curieuses. En général, la mythologie du temps des Ptolémées et des empereurs romains est beaucoup plus compliquée que celle des âges pharaoniques, elle offre par conséquent encore plus de problèmes à résoudre et d’énigmes à déchiffrer.

Une excavation faite récemment à quelque distance du temple a appelé mon attention. On a tiré de là des débris antiques pour servir à la fabrication d’un pont. Cette excavation ne datant que de quatre années, les voyageurs qui m’ont précédé n’en ont point parlé. C’était donc une bonne fortune pour moi que de l’avoir aperçue. J’y ai trouvé les débris d’un édifice dans les fondations duquel ont été employées des pierres portant, non des hiéroglyphes de l’époque dégénérée de Cléopâtre, mais de beaux hiéroglyphes du siècle des Thoutmosis. J’ai reconnu sur une des pierres le nom de Thoutmosis III. Les fragmens mutilés m’ont permis de lire une dédicace hiéroglyphique au dieu Mandou. Ceci prouve que, déjà sous les Pharaons de la dix-huitième dynastie, il existait ici un temple élevé en l’honneur de ce dieu, et que ce temple a fourni des matériaux à un édifice plus moderne, maintenant renversé. A toutes les époques, le culte du dieu Mandou a donc été le culte d’Hermonthis. L’édifice, aux fondations duquel on avait fait servir l’ancien temple du temps des Thoutmosis, datait probablement de l’âge des Antonins ; du moins j’ai trouvé sur un fût de colonne le nom d’Adrien, écrit Adrians. Ainsi deux noms révèlent deux monumens.