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vaincre ; dans cette galerie si longue où tant de noms obscurs sont admis, on cherche en vain le nom de Luther. Sa place n’est pas vide, comme celle de Marino Faliero dans la grande salle du palais des doges ; sa place n’y est pas. L’histoire d’Allemagne n’est pas toujours très claire ; retranchez le moine de Wittemberg, cette histoire sera inintelligible. C’est ce qu’a fait le roi Louis dans un monument qui doit dessiner à tous les yeux, qui doit éclaircir pour tous les esprits la tradition confuse de la patrie allemande. Je ne lui demanderai pas pourquoi, supprimant le chef de la réforme, il fait grace à Sikkingen et à Ulric de Hutten, pourquoi il admet les disciples sans le maître, les soldats sans le général. Ce n’est pas la raison qui a conseillé cet ostracisme, ce n’est pas la raison qui le justifierait ; on ne discute pas avec les passions d’une secte. Mais continuons, traversons rapidement les nombreux inconnus du XVIIe siècle ; j’ai hâte de saluer les grands poètes et les grands philosophes qui, depuis l’ardent Lessing, ont si vigoureusement associé l’Allemagne aux glorieux progrès du monde moderne. Hélas ! l’assemblée est triste, cette assemblée qui eût pu être si nombreuse et qui sera en définitive la vraie gloire de l’Allemagne. Goethe et Schiller sont présens, mais Schiller regrette son courageux ami Fichte, et Goethe s’étonne de ne pas voir auprès de lui le grand et puissant Hegel. Comment expliquer aussi l’absence de Jean-Paul ? Cette compagnie n’eût-elle pas mieux valu pour eux que celle de M. de Scharrnhorst, ou du prince Barclay de Tolly, ou du comte Diebitsch Sabalkanski, illustrations de remplissage, fausses fenêtres, si je puis ainsi parler, dans les symétriques compartimens de cette galerie ?

La conclusion naturelle de notre étude, chacun l’a formulée déjà, c’est que de bons instincts, de nobles et généreuses dispositions, ont été pervertis chez le dernier roi de Bavière par sa haine de la société moderne. Sa place est parmi les païens du monde nouveau, parmi les hommes qui ont refusé d’ouvrir tes yeux à la lumière de 89, comme les païens de l’antiquité s’obstinèrent, pendant plus de cinq siècles, à ne point voir l’immense révolution introduite dans le monde par l’enseignement du Christ. Le bien détourné de sa voie, le bien mis au service du mal, voilà aussi, j’en ai peur, voilà le principal caractère de Munich, c’est-à-dire de l’œuvre la plus sérieuse et la plus considérable du roi Louis.

Quand on parcourt cette curieuse ville de Munich dont le roi Louis a fait le sanctuaire de l’art allemand, quand on voit de près tant de zèle, tant d’efforts, des richesses si généreusement employées, une protection si délicate accordée aux artistes, on voudrait glorifier le prince qui a consacré cette noble cité aux plus beaux travaux de l’imagination humaine. Eh bien ! non. Le premier sentiment qu’on éprouve, après un étonnement légitime, c’est un profond sentiment de tristesse. Là,