Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


Séparateur


14 juin 1848.


Ni l’état des affaires ni l’état des esprits ne s’améliore sensiblement, il s’en faut de beaucoup, et nous le constatons dans la sincérité de nos inquiétudes. Nous tenons à ne point passer pour des alarmistes, parce qu’avant toute chose nous avons à cœur l’affermissement d’une société régulière ; mais nous sommes aussi par devoir, ou du moins nous tâchons d’être les fidèles échos de l’histoire courante, et force nous est de répéter ce qui s’entend partout. Or, où trouver maintenant quelqu’un qui respire à l’aise, quelqu’un qui ne se sente le cœur plus oppressé, dans le développement actuel des faits accomplis, qu’il ne l’avait dans la surprise du premier coup, quelqu’un enfin qui ne se plaigne et ne gémisse de marcher toujours sans voir et de tâtonner sans toucher ? Au début de la jeune république, on s’était d’avance approvisionné pour sa consolation d’un certain nombre d’espérances, on les avait en quelque sorte échelonnées le long de la route laborieuse qu’on s’attendait à parcourir. On les a toutes saluées à mesure qu’on avançait, et saluées trop bas plutôt que trop peu ; toutes, jusqu’à présent, se sont évanouies à mesure qu’on les abordait. On avait à qui mieux mieux compté sur le bon sens de chacun ; le bon sens est lent, et les heures vont vite. On avait compté sur les passions, qui vont encore plus vite que les heures, sur les nobles passions qui éclatent dans les foyers révolutionnaires, pour inspirer les masses ou lancer les individus : il s’est rencontré ce singulier phénomène, que la révolution de 1848 n’était point une révolution passionnée ; elle avait seulement des appétits. Toutes les fois qu’elle a voulu jouer à la passion, emboucher la trompette et se promener en triomphe, elle est tombée dans l’enthousiasme à froid, le pire des plagiats ; elle a été froide en comparaison de ses aînées, comme la mythologie des alexandrins en face des dieux du vieil Homère.

Par un contraste plus frappant encore, en dehors, au-dessus de cette révolution sans passion, il s’est produit dans la foule, dans l’immense majorité du pays, une passion véritable, la passion de l’ordre, provoquée par l’invasion désordonnée des systèmes factices au milieu du monde réel, la passion de l’ordre matériel, si ce ne pouvait être tout de suite l’ordre moral. Celle-là, pour sûr, n’a rien de révolutionnaire, et même, il faut bien l’avouer, presque rien de poli-