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tique ; c’est l’instinct de la vie porté à sa plus haute puissance lorsque la vie est menacée, c’est la colère et l’effroi d’un tête-à-tête permanent avec je ne sais quel Érostrate qui renaîtrait sans cesse la torche à la main. La société souffre aujourd’hui dans cette passion-là, et voilà vraiment la fibre douloureuse qui tressaille chez elle. A défaut d’objet plus grandiose, en vue du plus pressant péril, la société s’est passionnée pour l’ordre, et elle s’attriste, elle s’indigne, elle murmure, parce qu’elle n’en a point à son contentement.

Quel est en effet le mot de la situation, le mot du jour ? Si ce n’est anarchie, comme le diraient des pessimistes, comme sembleraient le crier les tumultes de la rue, si ce n’est anarchie, c’est tout au moins contradiction, non pas la contradiction pacifique et féconde des opinions qui mûrissent en discutant, mais une contradiction brutale et flagrante dans toutes les sphères des pouvoirs publics dont le jeu est ainsi arrêté. Contradiction au sein de la commission exécutive, qui s’en cache en pure perte, au sein de son ministère, qui s’en vante, au sein de l’assemblée nationale, qui cherche toujours sa voie et son unité, au sein du corps électoral, qui, dans son centre le plus actif, vient de protester contre toute pensée d’unité par le plus marqué des schismes ; contradiction des idées et des personnes entre elles, contradiction plus fâcheuse des idées ou des personnes avec elles-mêmes, contradiction misérable ou violente pour laquelle on n’aperçoit d’ici ni d’accommodement très doux, ni de terme très prochain : tel est le mal qui découle de toutes les régions ou siège l’autorité, de l’urne même où l’autorité se retrempe, de l’urne du suffrage universel. Le suffrage universel a maintenant une seconde fois prononcé depuis la fondation de la république : l’oracle qu’il a rendu n’était soupçonné de personne, et plus qu’oracle au monde il mérite explication. Les élections parisiennes du 4 juin traduisent énergiquement un état de choses qu’il vaut mieux regarder de près que dissimuler.

Il y avait deux républiques en présence le lendemain du 24 février, celle qui pouvait s’asseoir sur des institutions raisonnables, se fortifier de tous les concours, s’adapter à toutes les exigences vraies du pays, celle au contraire qui voulait lâcher la bride à l’entraînement des masses ignorantes ou des utopies implacables ; il y avait la république possible et la république impossible. La république possible ne suscitait pas de dissidens ; c’était un miracle de concorde qui prouvait plus, à vrai dire, en faveur de l’irrésistible nécessité du fait qu’il ne témoignait en l’honneur de notre foi politique, mais enfin le miracle existait. Ceux des républicains de la veille qui étaient de cette république-là auraient dû se réjouir du surcroît d’alliances, et d’alliances très sincères, que leur valait leur victoire, justement parce qu’ils avaient vaincu sans combat ; bien loin de se réjouir, ils se sont effarouchés. Dans un intérêt qu’ils ont été probablement les seuls à juger très patriotique, ils se sont beaucoup plus alarmés du voisinage de ces inévitables auxiliaires qu’ils ne s’alarmaient de la concurrence dont les menaçait la république impossible, leur rivale de tous les temps. Ils ont même poussé l’horreur des républicains du lendemain jusqu’à pactiser à petit bruit avec certains d’entre leurs coreligionnaires de la veille, auxquels la veille ils n’auraient pas tendu la main. Bref ils ont ambitionné de faire de leur petite église l’unique représentation de la république possible, et, dans leur ardeur d’accaparement, ils ont jeté sur tout le reste du peuple français un double interdit, interdit foudroyant sur les ralliés de fraîche date, parce qu’ils n’avaient