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Que l’art vienne s’ajouter à la vérité de la donnée, qu’une méditation laborieuse féconde le germe offert par la fantaisie, que la prévoyance vienne au secours de la puissance, et les forces du talent ou du génie seront doublées. Il y a dans le succès de Claudie une leçon qui n’a pas besoin d’être expliquée. Puisqu’une foule avide a recueilli les paroles du père Remy et du père Fauveau, de Sylvain et de la Grand’Rose, puisque ces personnages, choisis presque tous dans la plus humble condition, ont excité dans l’auditoire des frissons de douleur, des frémissemens de joie, il est évident pour les plus incrédules que le goût public n’est pas perverti sans retour, comme on se plaît à le répéter. La vérité, la vérité pure compte encore de nombreux, de fervens adorateurs. Il y a encore parmi nous bien des cœurs animés de sentimens généreux qui préfèrent l’émotion à la curiosité. Que les disciples de Sedaine se proposent donc l’émotion et la cherchent par des moyens dignes de leur maître, qu’ils composent après avoir conçu, qu’ils achèvent lentement au lieu d’improviser, et je ne doute pas qu’une popularité légitime ne récompense bientôt leurs travaux. Claudie n’est pas le dernier mot de l’auteur ; je nourris la ferme confiance que son œuvre prochaine réfutera victorieusement les reproches que j’ai cru devoir lui adresser. Il se décidera, je l’espère, à employer pour ses compositions dramatiques la langue de ses romans ; sans marcher dans la route vulgaire qui s’appelle le métier, sans renoncer à l’originalité de sa pensée, sans abandonner les droits souverains de la fantaisie, il comprendra pourtant la nécessité de soumettre ses conceptions aux conditions que j’ai définies. Il acceptera les lois de l’art nouveau où il débute si heureusement. Il trouvera moyen de concilier la prévoyance et la naïveté, de contenter les esprits sévères en charmant la foule avec les facultés qu’il possède, vouloir c’est pouvoir.

GUSTAVE PLANCHE.