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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/518

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UNE


FANTAISIE D’ALCIBIADE.




I


J’ai toujours eu don Juan en médiocre estime ;
Ce n’est, à mon avis, qu’un scélérat fieffé ;
Sur la foi de Byron on l’a trouvé sublime,
Et notre pauvre siècle à tort s’en est coiffé ;
Les jolis jeunes gens en ont fait leur idole,
Et leur naïf orgueil les enivre si bien,
Que chacun s’imagine, au sortir de l’école,
Dans ce hardi portrait reconnaître le sien.
Don Juan n’a pas de cœur ; don Juan est égoïste ;
Jamais un cœur d’ami n’a connu ses douleurs.
Il traverse la terre, hôte fatal et triste,
Laissant derrière lui des remords et des pleurs ;
Il n’a pas de maîtresse, il n’a pas de patrie ;
L’amour n’a pu toucher ce cœur de conquérant,
Et, quand de ses baisers une femme est flétrie,
Il reprend son chemin comme le Juif errant ;
Il poursuit son destin, le voyageur sans trêve,
Funeste et séduisant comme l’ange déchu ;
Plus d’une délaissée a dû voir, dans son rêve,
Sur son soulier verni percer un pied fourchu ;
Il a l’instinct du mal, il en a le génie ;
Nulle ame ne résiste à ses yeux dissolus ;
Il a vu, sans pâlir, sa mère à l’agonie,