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Des baisers de la mer encore tout humide,
Et riant au soleil sur un lit de roseaux.


III


Le trait, en ce temps-là, fit du bruit dans Athènes.
On le jugea galant, vif et de bon aloi,
Et nous le retrouvons cité par Démosthènes,
Qui n’en parle pas mal pour un homme de loi.
Notre siècle n’est pas à la plaisanterie,
Et messieurs du parquet enverraient poliment
Le bel Alcibiade à la Conciergerie
Enchaîné côte à côte avec le beau don Juan.
— N’importe ! je maintiens que c’est là le grand maître :
Il avait l’esprit fier, le cœur aventureux.
Jamais il n’avait pris ses ennemis en traître ;
Un feu sacré brûlait dans son sang généreux.
Il aimait son pays, les beaux-arts et la gloire !
Par le glaive et l’amour doublement conquérant,
Comme un dieu sur ses pas entraînant la victoire,
Chassé de sa patrie il y revient plus grand.
Enfin, quand il arrive à son heure dernière,
Seul, la nuit, au milieu d’assassins soudoyés,
Comme un lion traqué qui sort de sa tanière,
Il bondit au milieu des soldats effrayés,
Et si terrible encor que la pâle cohorte,
N’osant pas de pied ferme attendre le héros,
S’enfuit en le voyant sur le seuil de la porte,
Et le perce de loin à coups de javelots.
Or, tant que les vingt ans chanteront dans les têtes,
Tant que les songes blancs passeront dans les airs,
Tant que les jeunes gens rêveront des conquêtes,
Tant que les passions troubleront l’univers,
Nous aimerons en toi la brillante jeunesse,
Le bon goût, l’esprit vif, les douces voluptés,
Et nous reconnaîtrons ton juste droit d’aînesse,
Père de l’élégance et des nobles gaîtés !
Et lui-même, don Juan, — s’il t’avait vu paraître
Au lieu de la statue à son dernier festin, —
Eût pâli, j’en suis sûr, en rencontrant son maître
Dans cet hôte fatal choisi par le destin.


CHARLES REYNAUD.