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et même les corps militaires tenaient à honneur d’orner des œuvres de l’art les salles destinées aux réunions de leurs prud’hommes, aux séances de leurs syndics et de leurs délégués. Ici, il n’y a pas apparence que la chambre des notaires, la compagnie des agens de change ou l’état-major de la garde nationale éprouvent le besoin de recourir au talent de nos peintres, encore moins à celui de nos graveurs. Restent donc, comme unique ressource, quelques maisons qui hasardent encore leurs capitaux dans des entreprises de gravure. En dehors de tout cela, qu’y a-t-il ? Dans la presse, silence absolu ; les feuilles quotidiennes ne laissent pas passer un seul vaudeville improvisé sur nos théâtres sans en rendre un compte détaillé ; elles n’annoncent même pas la mise au jour d’une estampe, eût-elle coûté dix années de travail[1]. Dans les salons, bien des gens qui, au fond, ne s’en troublent guère, avouent que l’époque n’est pas favorable aux beaux-arts, et en viendraient sans peine à reléguer particulièrement la gravure parmi les superfluités passées de mode. Pourtant, au milieu de tant de conditions de ruine, malgré l’insouciance générale et le péril des conjonctures, c’est encore en France que l’art est le plus vivace et le plus sain. Comme nos peintres, nos graveurs ont une supériorité incontestable sur ceux des autres nations, et l’on en peut juger par le succès qu’obtiennent leurs travaux au-delà de nos frontières. Est-ce assez toutefois pour l’honneur de l’école que les estampes françaises continuent à être exportées comme les mille objets de luxe sortis de nos fabriques ? Et, tout en souhaitant à ce commerce une extension plus grande encore, ne faut-il pas souhaiter aussi que la gravure trouve désormais dans nos propres sympathies la certitude d’un avenir ?

Qu’on ne craigne point que cet exposé des dangers de la situation se termine par une prescription formelle des moyens de les conjurer. Assez de gens usent de la liberté qu’ils ont de parler au nom de l’idée pour qu’il soit nécessaire de temps en temps de demeurer dans les termes du fait. C’est donc sans arrière-pensée ambitieuse, sans dessein de glisser la moindre théorie régénératrice à la suite d’un aperçu historique, que nous résumerons en quelques mots l’état actuel de la gravure. L’Allemagne et l’Angleterre sont aujourd’hui les seuls pays où il y ait encore des écoles, si l’on entend par ce mot un ensemble d’artistes soumis aux mêmes principes et réunis par la conformité des travaux ; mais l’une systématise jusqu’à l’inspiration, et prend l’imitation du passé pour but suprême de ses efforts ; l’autre se retranche

  1. Il n’en était pas ainsi sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. On retrouve dans les gazettes du temps l’annonce des pièces importantes avec une appréciation critique.