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désolé qu’on ne pourrait dire ; il va, il va toujours sans savoir où, il marche toute la nuit, et il trouve sa cape de laine bien pesante sur ses épaules. Il ne se doute pas, le pauvre Jancsi, que c’est son cœur, son cœur gonflé de tristesse, qui lui pèse si lourdement. Toute cette partie du poème est d’une grace accomplie ; la gaieté, l’insouciance, le désespoir, sont exprimés presque simultanément avec cette franchise qui est le propre des caractères simples. On passe de l’un à l’autre avec une rapidité soudaine : ce sont des explosions, c’est la nature même qui éclate et crie ; mais nous n’avons là que l’introduction : après l’églogue, le récit épique ; après les scènes pastorales, les aventures de guerre et de chevalerie magyare. Jancsi rencontre des soldats, et s’enrôle dans leur régiment ; un Maggyar sait toujours monter à cheval ; le jeune pâtre est bientôt au premier rang parmi les hussards de Mathias Corvin. Qu’il a bonne mine avec son pantalon rouge, sa veste flottante et son sabre qui brille au soleil ! L’armée des Magyars continue sa route ; elle a hâte d’arriver, car elle va porter secours au roi des Français menacé par les Turcs. Long et difficile est le voyage ; il faut traverser la Tartarie, le pays des Sarrasins, l’Italie ; la Pologne et l’empire des Indes : après l’empire des Indes, on ne sera pas loin de la France. Cette géographie étrange, ces souvenirs des Turcs et des Français, ces vagues idées de courses belliqueuses et d’expéditions interminables, tout cela, bien évidemment, n’est pas de l’invention de l’auteur. Comment ne pas reconnaître ici les traces du moyen-âge, les traditions et les légendes des temps évanoui ? Le poète les a recueillies de la bouche du peuple, et il les met en œuvre avec un mélange de confiance et de gaieté, avec un accent de crédulité et d’ironie d’où résulte une originalité charmante. Les Magyars sont bien récompensés de leurs peines quand ils arrivent en France. Quelle merveilleuse contrée ! Les vallées de Chaman sont moins riches, le paradis terrestre n’est pas plus doux. Ils arrivaient d’ailleurs bien à propos ; les Turcs avides pillaient à plaisir cette magnifique proie ; les églises étaient saccagées, les villes dévastées, toutes les moissons emportées dans les granges des vainqueurs ; le roi, chassé de son palais, errait misérablement au milieu des ruines, tandis que les barbares avaient emmené sa fille. — Ma fille, ma fille chérie ! disait le malheureux roi à ses libérateurs ; celui qui me la rendra, je la lui donnerai pour femme. — Ce sera moi, pensait tout bas chacun des cavaliers magyars ; je veux la retrouver ou périr. – Jancsi seul était insensible à cette brillante promesse ; il ne cessait de voir dans ses rêves les toits de son village et les blonds cheveux d’Iluska. C’est lui pourtant qui tue le pacha des Turcs ; c’est lui qui délivre la fille du roi. Il ne tiendrait qu’à Jancsi de régner sur la France ; mais Jancsi n’hésite pas : Iluska lui a promis de l’attendre ; il repart comblé de richesses, et s’embarque pour son pays. Le héros n’est pas au terme de ses aventures ; une tempête affreuse s’élève, le navire est brisé, et le trésor tombe dans la mer. Qu’importe à Jancsi, pourvu qu’il revoie Iluska ? Hélas ! hélas ! quand il arrive, la pauvre Iluska est morte. « Ah ! s’écrie le héros en sanglotant, pourquoi ne suis-je pas tombé sous le sabre des Turcs ? Pourquoi n’ai-je pas été englouti par les flots ? » Et ici commence toute une série d’aventures nouvelles ; pour se rendre digne de celle qu’il aime, pour lui gagner un trésor, le jeune Magyar avait parcouru le monde à cheval et le sabre à la main ; pour qu’il puisse la retrouver après la mort, le poète lui ouvre je ne sais quel monde surnaturel où l’attendent des