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merveilles inouies. Nous ne visitons plus les Tartares ou les Indiens ; voici les géans, les gnomes, les fées, tous les héros des poésies populaires ; voici surtout le magique royaume de l’amour où Jancsi doit retrouver Iluska.

Tel est ce poème, qui reproduit bien, par le mouvement varié de ses tableaux, par la candeur des émotions et l’éclat chevaleresque des récits, la physionomie d’un peuple enfant et d’une race guerrière. Je ne m’étonne pas qu’une telle œuvre ait été si bien accueillie et soit chantée par des rapsodes sans nombre. C’est comme une épopée populaire où sont combinés avec art tous les sentimens, tous les rêves, toutes les traditions confuses du pays à qui elle s’adresse. Gaieté, simplicité, franchise, enthousiasme intrépide, patriotisme emporté et jaloux, orgueil de race naïvement exprimé, tout cela se retrouve dans ces poétiques scènes. Nos romans du moyen-âge font toujours de la France l’arbitre et la ruine de l’Europe ; ce sont les armes de la France qu’on rencontre partout, ce sont les compagnons d’Arthur ou les pairs de Charlemagne qui règlent les destinées du monde ; pour le poète hongrois, la race magyare est la première qu’il y ait sous le ciel, il n’appartient qu’aux cavaliers magyars de venger les opprimés et de dompter la barbarie. Ils sauvent même la France, ils la délivrent des Turcs. Naïf souvenir du XVe siècle ! Les soldats de Jean Hunyade ét de Mathias Corvin ont protégé l’Europe contre l’invasion ottomane : qu’est-ce que l’Europe pour les Hongrois du moyen âge ? L’Europe, c’est la France ; et de là cette tradition de la France sauvée du pillage des Turcs par le secours des Magyars. C’est en recueillant toutes ces légendes, en rassemblant mille traits épars de la vie historique des Hongrois, c’est en les fondant avec adresse au sein de son œuvre, que l’écrivain a composé une sorte d’épopée, moitié réelle, moitié fantastique, où sa patrie s’est reconnue elle-même. Le style est parfaitement approprié au sujet ; gai, tendre ; dégagé, légèrement ironique çà et là, il reçoit et transmet les mobiles émotions du conteur. Ce qui y domine surtout au milieu de qualités diverses, c’est un certain tour joyeux, une certaine allégresse qui est comme la parure naturelle d’une saine et vaillante humeur. Je n’y sens rien de germanique ; je n’y vois aucune trace de mélancolie, de pensée inquiète ou nuageuse ; dans les scènes familières, la parole est franche et alerte comme les sentimens exprimés ; dans les tableaux de bataille, le récit est aussi impétueux que les pieds des chevaux, aussi rapide que l’éclair des sabres.

Le traducteur à qui nous devons cette communication, M. Kertheny, a fait lui-même œuvre de poète dans ce difficile travail. Ce monde si nouveau, M. Kertheny nous y introduit avec une parfaite aisance ; et, s’il n’a rien voulu enlever aux agrémens de son modèle, il s’est bien gardé aussi d’en atténuer en aucune façon les singularités. Puisque M. Kertheny aime si passionnément la littérature magyare, puisqu’il sait en interpréter les travaux avec tant de souplesse et de relief, nous espérons bien que cette publication ne sera pas la dernière. Dans l’intéressante notice qu’il consacre à M. Schaandor Petosi, il donne quelques renseignemens sur la poésie hongroise : ces renseignemens ne sont pas assez complets ; que l’auteur les étende, qu’il nous fasse pénétrer plus intimement au milieu de ces vaillans conteurs et de leur auditoire passionné. À côté de M. Petosi se placent encore dit-on des talens originaux. On cite particulièrement M. Kisfaludy, remarquable entre tous ses confrères par la force