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atteint plus d’un pied d’épaisseur, couvre de son lourd manteau les sables, les rochers, et remplit les plus étroites fissures. À la moindre agitation, cette couche demi-fluide se délaie. Aussi le long des côtes l’eau est-elle toujours trouble ; au plus léger souffle de vent, elle devient terreuse et prend aux yeux quelque chose de solide. Plus avant, la mer, sans être beaucoup plus propre, garde quelque chose de sa couleur. Son bleu, mêlé au jaune de la vase, se change souvent en un beau vert. À certains momens, quand des nuages isolés marbrent l’océan de leurs ombres et qu’une brise légère le creuse de sillons, cette lumière brisée produit une illusion étrange : on dirait une vaste plaine dont les premiers plans seraient de terre à froment fraîchement labourée et qui déroulerait jusqu’à l’horizon un tapis de fraîches prairies.

Plusieurs causes concourent à accumuler dans les eaux de la Saintonge cette masse de particules terreuses. Du nord au midi, de la pointe de l’Aiguillon à la pointe de Fouras, les îles de Ré, d’Aix et, d’Oléron forment comme une espèce de digue interrompue qui longe la côte et en est séparée par un canal irrégulier très rétréci au sud. Plusieurs rivières, entre autres la Charente, la Sèvre niortaise et la rivière de Saint-Benoît, se déchargent dans ce bassin, et leurs courans, dirigés à [’encontre l’un de l’autre par la situation des embouchures, par la disposition des côtes, se neutralisent, mutuellement. Ainsi les détritus, enlevés aux terrains marécageux qu’elles parcourent, ne peuvent être chassés en pleine mer et restent sur place. Pour sa part, la mer travaille de deux manières à maintenir et à augmenter cet envasement. Jusque bien loin de cette côte, elle ne présente qu’une faible profondeur, et son fond, composé de couches semblables à celles des terres voisines, est facilement attaqué même par des maires ordinaires. Celles-ci pénètrent dans l’espace que circonscrivent les îles et la côte par trois pertuis ou détroits[1], rencontrent sur leur passage des plateaux sous-marins, en enlèvent toujours quelque chose, et leurs courans, heurtés l’un par l’autre, ne servent qu’à refouler vers la plage de nouveaux détritus. Cette cause agit avec une bien autre puissance lorsque les vents du large poussent vers le continent les hautes vagues de l’Atlantique. Alors le fond est bouleversé par ces masses liquides ; les falaises formées de roches peu résistantes cèdent aux chocs redoublés qui ébranlent, et rongent leur base, s’éboulent par larges pans et ajoutent leurs débris réduits en poussière à ceux que les îlots ont arrachés au sol même de l’océan. Ainsi s’accomplit tout le long de cette côte un double travail d’érosion et

  1. Ces détroits sont le Pertuis Breton, entre l’île de Ré et la côte ; le Pertuis d’Antioche, entre les îles de Ré et d’Oléron ; le Pertuis du Maumusson, entre l’île d’Oléron et le continent.