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Il serait bon que ces innovations ou ces rénovations ne passassent point sans débat, et que tout fût discuté avant d’être adopté. Il est vrai qu’un grand courage est nécessaire pour lutter contre le courant, quand on appartient au saint ministère. On doit autant de respect que de sympathie à ce peu de lévites persévérans, isolés, qui bravent le discrédit, le dédain, l’injure, et quelquefois une sorte de persécution, pour témoigner qu’ils pensent encore comme saint Louis sur l’autorité royale, comme saint Thomas sur le libre arbitre, ou comme les cardinaux de Bausset et de La Luzerne sur l’autorité du pape. Les historiens de l’école de Fleury, les théologiens de celle d’Arnauld s’exposent aux sévérités de l’index, à la défiance de l’épiscopat, à la disgrâce et à l’abandon. Honorons la sincérité et la fermeté de leurs convictions, et regrettons que leur cause n’ait pas été jusqu’ici plaidée avec plus d’éloquence.

Ce serait pourtant une injustice que de laisser dans l’oubli un écrivain à qui le talent ne manque pas, mais qui n’appartient pas à l’église. M. Bordas Demoulin est un cartésien catholique. Il s’est fait connaître par un essai sur Descartes qui atteste de la force d’esprit, et où, dans un style remarquable, sont exposées d’une manière originale les doctrines et les destinées de la plus grande école philosophique du XVIIe siècle. Des mélanges publiés depuis ont confirmé l’opinion qu’on avait pu se former des mérites et des défauts du système de l’auteur. Il a étudié avec soin tous les cartésiens qui ont suivi ou commenté le maître; mais il n’en sait pas beaucoup plus de l’histoire de la philosophie. Ne le consultez donc pas sur les doctrines de la Grèce, sur la scolastique, sur la philosophie allemande, anglaise, écossaise; il les connaît trop peu pour n’être pas injuste. C’est un esprit distingué, mais solitaire, et qui s’est un peu rétréci dans l’isolement. Chrétien ardent, avec quelques nuances d’hétérodoxie, plein d’une foi vive, attestée, dit-on, par les austérités de sa vie, il croit avoir découvert le point de jonction du catholicisme au cartésianisme, et il s’est persuadé que la science lui devait une vérité nouvelle; mais en même temps qu’il tient fermement à la tradition dogmatique de l’église, il se sépare hautement d’elle sur toutes les questions d’organisation, de politique et d’histoire, et convaincu que le progrès démocratique des sociétés est à la fois dans les vues de la Providence et dans l’esprit du christianisme, il se pose en ennemi déclaré du moyen âge, de l’ultramontanisme, de l’absolutisme, et en général de toute doctrine qui tend à l’alliance du dogme et de la force. C’est plus qu’un libéral, c’est un démocrate chrétien. Sans lui attribuer cette prudence d’esprit qui juge avec calme et s’arrête à temps, sans ignorer qu’il s’est trop étroitement renfermé dans ses méditations propres, et qu’il aurait eu besoin,