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III.

Lord Folbrook portait une perruque toute semblable à celle qui distingue le portrait de Talma dans le rôle de Hamlet au foyer du Théâtre-Français. La mélancolie scandinave qui régnait dans sa coiffure rappelait le tour sérieux que, dans sa jeunesse, Oswald s’était toujours efforcé de donner à ses amours. L’Anglais avait été le plus grave, le plus décent, le plus austère des hommes à bonnes fortunes. Dans la succession de menuets auxquels ses aventures galantes peuvent si justement se comparer, c’était toujours avec la même solennité qu’il avait emmené et ramené sa danseuse. Ce mérite, du reste, avait suffi pour lui conquérir dans la société française une situation fort considérable. Lord Folbrook appartenait à cette troupe d’hommes privilégiés, lévites des cultes reconnus, orgueil et espoir des salons, qui, au lieu du trouble et de la crainte, font régner la sécurité et l’ordre là où leurs passions s’établissent. Ces sages Werthers obtiennent des Charlottes tout ce qu’ils peuvent désirer sans se brouiller avec les Alberts, qui, au contraire, s’attachent à leurs pas et font retentir des hosannah derrière leur marche triomphante.

A d’autres titres, le baron Amable de Clémencin avait place dans cette armée. Ce n’était pas le menuet toutefois, c’était plutôt la gavotte que le baron Amable avait dansée dans le royaume des amours. Préfet pendant quelques mois, M. de Clémencin avait dédié au comte de Fontanes un volume de poésies fugitives « où l’on sentait, disait-il, que la muse des Parny et des Dorat s’était attendrie aux récits d’Atala et de René. » Par un caprice de raison et d’équité, le ministre de ce poète administrateur le rendit un jour tout entier aux lettres. Dès lors Clémencin s’empara du rôle pris sous la restauration par l’auteur du Génie du Christianisme. « Ils ont peur de l’intelligence, s’écriait-il, malheur à eux ! Je leur serai fidèle cependant. » Et c’est ainsi qu’il vécut jusqu’en 1830, où, abandonnant tout à coup son modèle, il prit place un beau jour parmi les pairs du nouveau gouvernement. « Je ne dois plus rien, disait-il avec la sombre expression d’un preux vaincu qui aurait brisé son épée en frappant les ennemis de son roi, je ne dois plus rien à des gens qui ont quitté le sol français. »

Voilà qui nous amène naturellement à celui qu’on nommait le chevaleresque Tancrède de Plangenest. C’est le privilège de quelques hommes de notre époque de s’être déclarés et fait déclarer chevaleresques sans qu’il soit possible de comprendre pourquoi. Le remplaçant de Plangenest, un honnête métayer appelé Serge Gaulien,