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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/33

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sans chercher dans aucun livre, il se pourrait que la simple méditation fît pénétrer l’esprit plus avant dans cette région des nuages qui est déjà le ciel.

Ce n’est pas que nous donnions comme une extrémité déplorable en soi cette nécessité d’établir la religion par la philosophie. L’esprit humain n’a point de plus noble emploi ni de plus haute prérogative que d’aborder directement les choses divines, et même poulie chrétien, le plus docile, il n’y a rien à perdre à traverser les champs de la religion abstraite pour retourner dans le sein de la religion révélée. Platon n’a pas nui à saint Augustin. Il m’est impossible cependant de ne pas faire remarquer à M. Greg que son livre, si recommandable par le ton de sincérité, par le courage des opinions, par la sagacité, la lucidité, le talent d’exposition, pourrait bien aboutir en dernière analyse à cette conclusion : il faut demander la religion à la philosophie.

Or je doute que tel soit le but qu’il puisse se proposer, du moins quand il s’adresse à la société. J’admets très volontiers que la philosophie peut conduire à la religion ; mais qui ? Les philosophes. Il est moins certain que tous les hommes soient des philosophes, ou que les méthodes, les démonstrations et les expressions de la science puissent persuader le genre humain, et assurer à la vérité cette domination pratique qui importe à la morale et, qu’on me permette de le dire, au salut. L’observation nous apprend que les devoirs ordinaires eux-mêmes nous sont inspirés, enseignés, et pour ainsi dire recommandés par d’autres motifs encore que ceux de l’éthique spéculative. Des sentimens naturels, des sympathies, des penchans, des intérêts légitimes viennent fortifier l’autorité théorique de la morale. La religion en est comme la sanction, et la religion elle-même pourrait bien, tout comme la morale (elles ont toutes deux la même origine), avoir besoin pour régner, pour agir sur les hommes, d’être autre chose qu’un théorème démontré. Observez bien qu’il ne s’agit pas ici de pures vérités abstraites qui n’intéressent que l’intelligence ; il s’agit de lois qui doivent être obeies, car il y a des devoirs envers Dieu. Cela étant, ne se pourrait-il pas, ne rentrerait-il pas dans l’ordonnance générale que l’auteur des choses eût accordé aux vérités religieuses de certains moyens de persuasion et d’action sans lesquels elles seraient restées des abstractions impuissantes ? Pourquoi ne serait-il pas dans les voies de la Providence d’entretenir, de ranimer, d’accroître par intervalle la connaissance naturelle du divin, dont à l’origine des choses elle a mis le germe dans l’homme ? et ce complément nécessaire de l’inspiration primitive, que serait-ce autre chose qu’une révélation ? Il est certain que, sous une forme ou sous une autre, les hommes ont