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celui des races sauvages provenant d’une seule d’entre elles, et les agens de fécondation sont les mêmes. Les abeilles et les coléoptères volent indifféremment de l’une à l’autre ; pour les espèces comme pour les races, les vents secouent le pollen avec la même énergie, le répandent avec la même profusion. Par conséquent, si tout se passait d’espèce à espèce comme de race à race, les hybrides devraient être au moins aussi communs que les métis. Eh bien ! en est-il ainsi ? Entrons ici dans quelques détails, et le lecteur jugera par lui-même.

Sous l’influence de la magnifique découverte de l’existence des sexes dans la fleur, Linné crut voir des hybrides dans la majorité des espèces végétales : il crut en outre avoir confirmé ses idées à ce sujet par l’observation directe, et décrivit, comme autant d’hybrides résultant du croisement d’espèces actuelles, dix-sept individus ; mais de Candolle, soumettant au contrôle d’une science plus avancée les faits signalés par le père de la botanique moderne, les regarda tous comme erronés, et lui-même, après avoir fait l’inventaire de tous les cas bien avérés, recueillis par les botanistes de tous pays, n’en comptait qu’environ quarante. Il est vrai, comme l’ont fait observer MM. Duchartre et Godron, à qui j’emprunte ces détails historiques, qu’à l’époque où de Candolle écrivait, on n’attachait pas aux faits d’hybridation naturelle autant d’intérêt qu’on l’a fait plus tard. Depuis lors, l’attention, de plus en plus éveillée, a amené des recherches plus actives, et aujourd’hui le nombre des cas de cette nature bien constatés s’est accru d’une manière sensible. Toutefois ce nombre est demeuré tellement restreint, que des botanistes éminens semblent admettre l’hybridation naturelle plutôt à titre de théorie que de fait expérimental.

Évidemment on ne peut tirer de ce court historique qu’une seule conclusion : c’est que les hybrides naturels sont chez les végétaux d’une rareté extrême. Que serait même une trentaine de cas recueillis dans l’espace de plus d’un siècle[1], si l’on songe à la multitude des espèces qui tous les ans fleurissent pêle-mêle, et dans les conditions les plus propres à favoriser le croisement ? Que devient ce chiffre, surtout si on le met en regard de ces milliers de métis qui se forment constamment sous nos yeux ? Constatons d’ailleurs, avec tous les botanistes, que l’hybridation naturelle n’est pas plus fréquente entre les plantes cultivées qu’entre les plantes sauvages, en sorte que nos jardins, surtout nos jardins de botanique, offrent un champ de comparaisons rigoureuses, lorsque nous opposons la fréquence des métissages à la rareté des hybridations.

  1. M. Decaisne pense que le chiffre des hybrides végétaux sérieusement constatés s’élève tout au plus à une vingtaine.