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lui avaient vu jeter vivant dans une chaudière d’eau bouillante un prisonnier d’une tribu ennemie ; on avait fait ensuite rôtir la victime, et plusieurs chefs s’en étaient partagé la chair. M. Waterhouse lui avait fait sur ce sujet de longues remontrances qu’il avait écoutées avec une certaine honte en promettant de s’abstenir de ces repas, et depuis il s’était caché pour les renouveler. Cette fois sa conversion était-elle plus sincère ? C’est ce qu’il serait difficile d’affirmer ; mais ce qui est certain, c’est que la hideuse pratique des repas de chair humaine a publiquement cessé, et que le parti qui depuis longtemps la combattait parmi les indigènes eux-mêmes prend entièrement le dessus. Il ne faut pas croire en effet que, dans les peuplades qui ont, comme les Viti, quelques principes d’organisation sociale, tous les indigènes indistinctement soient anthropophages. Les pauvres gens, les faibles, ceux qui avaient le plus de chances d’être victimes en cas de luttes et de discordes, formaient le fond d’un parti à la tête duquel se plaçaient quelques chefs sous l’influence des missionnaires, qui leur présentaient les habitudes anthropophages comme indignes de tout être intelligent et civilisé. La plupart des chefs, surtout les plus puissans, ne renonçaient pas avec tant de facilité au vieil usage, ils aimaient la chair humaine par goût, et prétendaient que manger les ennemis était le meilleur moyen d’en tirer vengeance. Parmi les amateurs les plus obstinés de ces festins se trouvaient un frère de Kuruduadua, gouverneur de Namusi, et un de ses voisins, chef de Naitasiri dans les montagnes, Naulu-Matua. Celui-ci était un homme haut de deux mètres, d’une force extraordinaire ; le lieu qu’il habitait était un de ceux où l’on avait le plus consommé de cadavres ; un arbre placé à l’entrée de Naitasiri recevait une incision chaque fois qu’on introduisait dans la ville un mbokola (c’est le nom qu’on donne aux corps destinés à être dépecés et mangés), et l’écorce, depuis les feuilles jusqu’au bas du tronc, était couverte de ces incisions. Naulu-Matua se fit un jour servir devant les étrangers deux cuisses rôties, désossées, bien disposées dans de larges feuilles de bananier. Quant au gouverneur de Namusi, il était entouré de conseillers qui cherchaient à le détourner de ses habitudes. Sa femme favorite faisait tous ses efforts pour obtenir ce résultat. Il est à noter qu’aux Viti les femmes n’ont jamais été dans l’usage de partager cette horrible nourriture. Danford adressait aussi des remontrances au frère de Kuruduadua ; il lui présentait cette pratique comme tout à fait nuisible à sa santé, car il paraît que la chair humaine est très indigeste, et que tes cannibales les plus vigoureux sont deux ou trois jours malades et pesans après un repas de chair humaine. Il est vrai qu’ils y font de larges excès.

Namusi, malgré la conversion de Kuruduadua, imitée par la plupart