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Ceci n’est ni une critique ni une opinion, c’est un fait aussi clair que le jour. Or je pourrais sans discussion en conclure une imperfection nécessaire, une inexactitude obligée, et affirmer que la vérité du fond qu’elle contient est compromise, altérée à un certain degré par sa forme, et plus compromise, plus altérée encore dans notre intelligence, qui la reçoit : d’où il suit que l’inspiration infaillible, en ce sens que la signification véritable du texte est pure de toute erreur, ne garantit pas l’infaillibilité du texte même, c’est-à-dire ne garantit pas un texte exempt de toute possibilité d’erreur, ni la parfaite vérité d’une interprétation quelconque.

C’est en effet une des conditions du langage d’être l’expression partielle et successive de la réalité. Il ne dit pas tout à la fois, et ce qu’il dit, il le dit isolément, séparément, en sorte que chaque phrase et presque chaque mot semblent avoir une signification absolue. Nous en dirions donc toujours trop ou trop peu, si la suite de ce que nous avons à dire ne devait modifier ce que nous avons dit. Dans le récit, la succession des faits et des jugemens qui les qualifient complète l’expression de la vérité. Dans l’exposition, la liaison s’établit par l’induction ou la déduction, et c’est ainsi que la diction se rend de plus en plus égale à la vérité. Tout le monde n’en sait pas moins que rien n’est plus difficile que d’établir une équation juste entre le fait et la pensée, entre la pensée et le langage. L’équation n’est jamais qu’approximative, et il y a une imperfection indomptable dans toute œuvre de l’esprit et de la parole.

Il ne faut pas dire que cette imperfection affecte éminemment la diction de l’Écriture. Je suis beaucoup moins sévère que certains critiques, d’ailleurs parfaitement orthodoxes. Le style des écrivains sacrés a souvent été abandonné à la critique. Tantôt c’est la correction dont on a fait le sacrifice. Le père Perrone ne désapprouve pas les théologiens qui allèguent contre l’inspiration verbale les solécismes de la langue apostolique. Enfin on pourrait citer des critiques du XVIIe siècle qui s’exprimaient avec une singulière rigueur sur le défaut de beauté classique de l’Évangile lui-même. Quant à nous, les solécismes nous touchent peu ; le purisme littéraire nous paraît ici hors de saison, et nous sommes convaincu que le Nouveau Testament, plus académiquement rédigé, portant moins les caractères de la vérité, serait armé d’une moindre puissance persuasive. Nous ne pouvons cependant soutenir que le style du livre sacré soit le plus propre à prévenir toute méprise et à donner à la narration et surtout à l’exposition cette exactitude lumineuse qui indique chez l’écrivain, qui produit chez le lecteur la claire connaissance. Les vérités de la foi en particulier y sont exprimées en passant, tantôt avec mystère, tantôt par allusion, quelquefois sous une forme figurée.