Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crédit. Si l’on oblige la Banque de France à prêter son capital au-dessous du cours, ses ressources sont vite épuisées, et elle ne peut plus continuer ses opérations. Se passera-t-on de son concours ? On s’en passera en retombant sous les fourches caudines des particuliers, qui, n’étant plus gênés par la concurrence et n’étant pas soumis au maximum imposé à la Banque, élèveront d’autant plus leurs prétentions. Alors le commerce, ne trouvant plus à se faire escompter à moins de passer par les conditions les plus dures, subira une crise des plus violentes. Il se produira ce qui arriverait si on appliquait le maximum à des denrées de première nécessité, comme le blé. On pourrait bien approvisionner le marché, tant qu’il y aurait des réserves dans les greniers publics ; mais, le jour où ces réserves seraient épuisées, il n’y aurait plus personne pour vendre, et la famine serait effroyable.

Il est avantageux sans doute que le taux de l’escompte soit bas. Le loyer du capital figure dans les frais de revient de tout produit, et moins la production est chère, plus la consommation a de moyens de se développer : c’est un axiome économique incontestable ; cependant le taux de l’escompte ne peut s’abaisser utilement que si l’abondance du capital justifie cet abaissement. Autrement on est la dupe d’une illusion qui peut avoir les conséquences les plus fâcheuses. Supposez par exemple qu’une banque privilégiée comme la Banque de France, obéissant à des influences gouvernementales ou autres, s’obstine à maintenir le taux de son escompte au-dessous du cours où il devrait être, et puisse maintenir cette situation pendant quelque temps. Le pays n’a plus la mesure des capitaux dont il peut disposer ; il les croit plus abondans qu’ils ne sont en réalité ; il s’engage en conséquence, fait plus d’affaires qu’il n’en devrait faire, et un beau jour, ne trouvant plus à renouveler ses engagemens, parce que les ressources sont épuisées, il se réveille en pleine crise, et il est obligé, comme en 1857, de payer l’escompte 8 et 10 pour 100, heureux encore si, à ce prix, il trouve à se faire escompter. Voilà les illusions que fait naître l’abaissement du taux de l’intérêt, lorsqu’il n’est pas justifié par l’abondance du capital, et les dangers auxquels il conduit.

Si cependant une banque privilégiée n’a pas pour effet de rendre le loyer du capital bon marché, quelle est donc son utilité, quels sont donc les services qu’elle rend en retour du monopole dont elle jouit ? Sans doute l’action d’une banque privilégiée consiste à modérer le loyer du capital, et elle atteint ce but, non-seulement parce qu’elle dispose d’un capital exceptionnel qui ne lui coûte rien et dont elle se sert utilement pour peser sur l’offre, mais encore parce qu’elle est placée sous le contrôle du gouvernement, dirigée par un gouverneur