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ses yeux pour y trouver, s’il le faut, une quantité illimitée de coton et se soustraire définitivement à la tyrannie des planteurs américains. Le peuple que l’Angleterre opprima longtemps, ce peuple qu’elle vient à peine de reconquérir par un pénible effort, est celui qui doit sauver aujourd’hui ses vainqueurs et leur rendre une prospérité menacée.

L’Hindoustan, on le sait, est la patrie du cotonnier aussi bien que de toutes les plantes industrielles qui ont fait la richesse du monde. Cette riche péninsule, véritable paradis terrestre de l’humanité, a servi de pépinière pour les principales cultures introduites en Amérique, et, malgré sa déplorable situation politique, elle a toujours gardé la supériorité agricole que lui donnait la grande variété de ses produits. Le cotonnier n’a jamais cessé d’être une de ses principales cultures ; ses villes, Calicut, Mazulipatam et d’autres, ont imposé leurs noms aux étoffes de coton qu’elles seules fabriquaient autrefois. Un grand nombre de ses filatures ont dû se fermer, il est vrai, par suite de la concurrence anglaise ; mais les derniers artistes que l’Inde a gardés savent encore tisser des mousselines d’une légèreté exquise, un air visible, que M. Bazley, célèbre filateur de Manchester, a vainement demandé aux plus habiles ouvriers de France et d’Angleterre. On évalue diversement la récolte de l’Hindoustan à 2,500,000, 3 millions ou même 4 millions de balles. Ses exportations varient chaque année suivant les besoins des fabriques du Lancashire : en moyenne, elle expédie 300,000 balles à la Grande-Bretagne et 200,000 balles à l’empire chinois, auquel une récolte annuelle de 500,000 balles ne suffit pas.

On le voit, les ressources de l’Inde en fait de coton sont très considérables, et ne le cédaient en importance qu’à celles des états confédérés d’Amérique. Malheureusement le coton indien ou surate se distingue du coton américain par ses défauts : la soie en est courte et trop souvent mêlée à des débris de feuilles et de capsules ; souvent aussi elle est avariée par les pluies auxquelles elle est exposée pendant le long trajet des plateaux ou des plaines de l’intérieur aux ports d’embarquement. Longtemps les filateurs de Rouen ont refusé d’utiliser le coton surate, et les industriels anglais n’en auraient jamais demandé qu’une quantité limitée, s’ils avaient pu compter, sur un constant approvisionnement de coton américain. Aussi les planteurs de l’Hindoustan manifestent-ils une certaine méfiance et n’osent-ils donner un développement considérable à leurs cultures. Au commencement du siècle et jusqu’en 1826[1], lorsque les cotons américains atteignaient sur le marché de Liverpool des

  1. En 1812, le coton new orleans s’est vendu à Liverpool jusqu’à 31 pence la livre, trois fois plus qu’aujourd’hui.