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Moré Neboukhim il n’avait que la mauvaise version latine de Buxtorf[1].

Nous n’en sommes plus là aujourd’hui, grâce à deux savans hommes, à deux maîtres en littérature hébraïque, M. Adolphe Franck et M. Munk. Depuis les mémoires de M. Franck sur la kabbale, la doctrine renfermée dans les livres du Zohar et du Sepherlecirah a cessé d’être une énigme. À la fois philosophe et philologue, M. Franck a porté la lumière dans ce chaos, et s’il n’a pas dissipé toutes les obscurités des livres kabbalistiques, il en a du moins fixé avec autorité le caractère, mesuré la portée, indiqué les origines. C’est là un service capital rendu à la science. M. Franck vient d’y ajouter encore en publiant un précieux volume d’Études orientales, où, parmi d’autres recherches curieuses, on trouvera de nombreux matériaux pour l’histoire des idées philosophiques et religieuses des Hébreux[2]. Ce que M. Franck faisait, il y a vingt ans, pour les doctrines secrètes des Juifs, M. Munk vient de l’entreprendre pour leur philosophie officielle et publique. Il nous donne en belle et bonne langue française le principal monument de cette philosophie, le Guide des Égarés[3]. Désormais nous pouvons lire Maïmonide avec d’autant plus de facilité que nous trouvons auprès de lui un commentateur assidu qui à chaque pas nous soutient et nous guide, car il ne suffisait pas, pour nous faire comprendre le Moré Neboukhim, d’une connaissance profonde des antiquités hébraïques ; il fallait y joindre une érudition variée, notamment l’intelligence des écrits d’Aristote, maître favori de Maïmonide. Grâce à Dieu, M. Munk n’est pas seulement un hébraïsant consommé, c’est un savant universel pour qui la philosophie grecque n’a pas de secrets. Ajoutez que cette vaste érudition est chez lui au service d’un esprit supérieur, où la netteté française se marie heureusement avec la finesse, la souplesse et la vigueur hébraïques.

À part son grand caractère d’utilité générale, la publication de M. Munk a le mérite de l’à-propos. Elle semblé arriver à point

  1. Voyez l’intéressant fragment inédit récemment publié, avec une traduction et un mémoire explicatif, par M. Foucher de Careil : Leibnitii observationes ad rabbi Mosis Maimonidis librum qui inscribitur doctor perplexorum, 1861, in-8o, chez Durand.
  2. Notamment une étude sur l’état politique et religieux de la Judée aux derniers temps de sa nationalité, des notices substantielles consacrées & Maïmonide et à Avicébron, et un travail sur les doctrines religieuses et philosophiques de la Perse, qui ont tant de points de contact avec celles d’Israël.
  3. M. Munk avait déjà bien mérité de l’histoire de la philosophie en restituant presque complètement le Fons vitæ, ouvrage perdu d’Avicébron, et en découvrant sous le nom de ce personnage, si fameux au moyen âge et quelque peu mystérieux, un Juif espagnol du XIe siècle, nommé Salomon ben-Gébirol, philosophant à la suite des Arabes et interprétant comme eux Aristote dans le sens de l’école d’Alexandrie.