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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/369

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autre, et ce pauvre Pradier — celui-là aussi est mort — m’avait souvent prédit que je le ferais sortir de l’oubli ; il s’est trompé dans sa prédiction… L’enfant le portera dignement, ce nom que je laisserai toujours obscur ; je vous en réponds, car j’y veillerai.

Tout ce que Richard désirait se fit le jour même : l’enfant fut légalement reconnu, et le soir il était couché dans la petite chambre que sa mère avait jadis occupée auprès de l’atelier. — Allons, me dit Richard lorsque je le quittai au bout de la journée, ce n’est pas cela que je m’attendais à trouver à Paris ; mais enfin cette pauvre Geneviève, si elle voit ce qui se passe ici-bas, doit être contente et rassurée sur le sort de son fils.

Une quinzaine de jours après ces événemens, je reçus une lettre de Maurice. Il me disait qu’il était prêt à faire pour Geneviève et son enfant ce que je jugerais convenable. Je montrai la lettre à Richard. — Répondez-lui, me dit-il, que Geneviève est morte, et que par son testament elle a confié son fils à une personne qui en prend soin, que du reste, lui, M. Maurice, n’a rien à faire en tout ceci, puisque l’acte de naissance de l’enfant porte la formule : père inconnu. S’il réclame, dites-lui qu’on a vendu le bambin au Grand-turc et que vous ne savez pas ce qu’il est devenu ! — Je me conformai au désir de Richard en écrivant à Maurice, qui sans doute fut fort heureux d’être débarrassé des soucis de la paternité, car il ne me répondit même pas.

Au retour d’une absence qui avait duré plus d’un mois, un matin j’allai voir Richard ; je le trouvai habillant lui-même le petit garçon. Il ne s’en tirait pas trop mal, quoiqu’il jurât plus que de raison lorsque les boutons étaient plus larges que les boutonnières. — Il va bien, le petit luron, me dit Richard ; nous sommes les meilleurs amis du monde, et il m’appelle papa gros comme le bras ; il fait sa prière soir et matin, et il prie pour sa pauvre mère, qu’il n’oublie pas. — Comment s’appelle-t-elle, ta maman ?

— Geneviève, répondit l’enfant d’une voix sérieuse.

— Et où est-elle maintenant ?

— Elle est avec le bon Dieu.

Nous entrâmes dans l’atelier ; une nouvelle statue était en train : c’était une Madeleine, levant les yeux vers le ciel et tendant les mains par un geste de supplication. Sur la dalle où elle s’agenouillait, on lisait la grande parole : Quia dilexit multum. La tête de la sainte était le portrait de Geneviève. Je félicitai vivement Richard et lui prédis un succès à la prochaine exposition.

— Elle ne sortira jamais de mon atelier, me dit-il ; c’est pour le marmot que je fais cela, afin qu’ayant toujours sous les yeux les traits de sa mère, il ne puisse jamais l’oublier. Je trouverai un beau morceau de marbre, je le pratiquerai moi-même, et nous garderons