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de Rome couvrira sa face, et ses pleurs seront infinis ; l’humiliation sera aussi grande que grand a été l’orgueil. » Le cœur d’Iridion recommence à battre, ses yeux se raniment : « Oh ! voir ce jour de châtiment et de vengeance, jouir du spectacle de l’urbs ainsi avilie ! » — - Soit, répond le maître ; il arrachera son élève à la vie terrestre, il l’endormira sur le sein du néant et de l’oubli pour ne le réveiller qu’après bien des siècles, au jour désiré,

« Lorsque sur le Forum il n’y aura plus que poussière, — lorsque sur le cirque il n’y aura plus que décombres, — lorsque sur le Capitole il n’y aura plus que honte ! »


Le drame antique est fini, et l’épilogue nous transporte dans les temps modernes, dans la Rome de nos jours. Iridion a dormi pendant des siècles du sommeil d’Épiménide ; ni les jours terribles d’Alaric et d’Attila, ni le renouvellement de l’empire par Karl le Grand, ni les éclats du tribun Rienzi n’ont pu arracher le fils d’Amphiloque A sa léthargie, « et les saints-maîtres du Vatican ont glissé l’un après l’autre comme des ombres devant cette ombre ; » mais de nos jours il s’est réveillé. Masinissa a tenu sa parole ; il place de nouveau son élève en face de cette Rome « entourée de lierre rampant et d’un peuple rampant. » Le fils des siècles traverse maintenant le Forum désert et promène ses regards autour de la cité désolée, « dont chaque ruine est pour lui une récompense. »


« Sous les portiques d’une basilique se tiennent deux vieillards revêtus d’un manteau de pourpre ; quelques moines les saluent du nom de princes de l’église et de pères ; sur leur visage, on lit l’indigence de la pensée. Ils montent dans une voiture traînée par deux chevaux noirs et maladifs ; derrière eux est un serviteur tenant une lanterne pareille à celle que la veuve suspend au-dessus de son enfant mourant de faim ; sur les panneaux de cette voiture, on voit des restes de dorure. Les roues gémissantes ont passé, et avec elles les deux têtes blanches et penchées ont disparu.

« Ce sont les successeurs des césars ! C’est le char de la fortune et des triomphateurs ! » dit le guide.

« Et le fils de la Grèce regarde et bat des mains ! »


Si saisissant que soit ce tableau final, si bien qu’il semble répondre aux préoccupations et aux passions du moment même que nous traversons, on aurait tort cependant d’y voir la pensée intime du drame, on aurait tort surtout de ne pas remarquer la transformation subie par le héros, car si Rome n’est plus reconnaissable, le fils d’Amphiloque, lui aussi, a bien changé pendant le long sommeil des siècles. Il ne hait plus la croix, « dont le sort lui paraît triste comme autrefois celui de son Hellade ; » sous les rayons de la lune, il a senti que le signe de la rédemption est saint à jamais, il l’a entouré