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de ses bras, et Masinissa s’est éloigné pas à pas… Là gît en effet la tendance du poèmes elle éclate surtout dans cette voix du ciel qui envoie Iridion vers la Pologne pour y subir une seconde et glorieuse épreuve.


« Va, lui crie la voix du ciel, va vers le nord au nom du Christ, va et ne t’arrête que dans le pays des tombes et des croix ! Tu le reconnaîtras au silence de ses guerriers et à la tristesse de ses petits enfans ; tu le reconnaîtras aux chaumières incendiées du pauvre, au palais renversé de l’exilé ; tu le reconnaîtras aux gémissemens de mes anges qui y passent la nuit. Va habiter parmi les nouveaux frères que je te donne ! Là sera ta seconde épreuve ! Pour la seconde fois tu verras l’objet de ton amour agoniser, transpercé, et tu ne pourras mourir, et les angoisses de milliers d’âmes s’incarneront en toi !

« Va et aie foi dans mon nom ! Ne songe point à ta gloire, mais au bien de ceux que je te confie. Sois calme devant l’orgueil, l’oppression et le mépris des injustes. Ils passeront, mais ma pensée et toi, vous ne passerez pas ! « Et après un long martyre j’allumerai mon aube au-dessus de vous, je vous donnerai ce que j’ai donné a mes anges il y a des siècles, le bonheur ! Ce que j’ai promis aux hommes du sommet du Golgotha, la liberté !

« Va et agis ! Alors même que ton cœur se dessécherait dans ta poitrine, alors même que tu douterais de tes frères, alors même que tu désespérerais de mon secours, agis, agis sans cesse et sans repos ! Et tu survivras à tous les vains, à tous les heureux, à tous les illustres ; tu ressusciteras non plus d’un stérile sommeil, mais du travail des siècles, et tu deviendras un des fils libres du ciel ! »


Tel est ce poème, dramatique d’Iridion dans son ensemble original et puissant. Qu’une telle œuvre ait été jusqu’ici à peu près inconnue de l’Occident, — si avide pourtant de connaître et de goûter les productions littéraires de tous les peuples, si près de réaliser cette « littérature universelle » (Weltitteratur) qui fut le rêve du vieux Goethe, — cela prouve combien durement pesait encore naguère sur la patrie du poète anonyme l’oubli du monde ; cela prouverait peut-être aussi combien la jouissance facile des productions légères et vides d’idées nous a rendus méfians pour toute œuvre sérieuse. Ce n’est pas dans tous les cas pour ceux qui prétendent pénétrer le sens de Faust et de Manfred que l’Iridion peut présenter la moindre des obscurités. Il est au moins certain que la Pologne a bien vite saisi l’idée dominante du poème et a démêlé facilement la signification profonde de cette allégorie, Le drame de l’auteur anonyme lui disait en effet que la douleur patriotique ne crée rien, quand elle n’est que la négation et la haine. Il lui disait de plus que l’ennemi peut retrouver une force de vie nouvelle et de rajeunissement là même où une vengeance peu scrupuleuse